Assassinat du responsable du programme nucléaire iranien , Israël pointé du doigt

Un assassinat spectaculaire, dans un contexte explosif et aux conséquences incertaines. Un scientifique iranien de haut rang, Mohsen Fakhrizadeh, considéré comme le père du programme d’enrichissement nucléaire de la République islamique, a été tué vendredi après-midi dans l’attaque de son véhicule par des hommes armés, a annoncé le ministère iranien de la Défense.

Un scientifique de haut rang travaillant pour le secteur nucléaire en Iran a succombé à ses blessures après l’attaque de son véhicule par des « terroristes armés » près de Téhéran, a indiqué vendredi 27 novembre le ministère iranien de la Défense.

L’homme – identifié officiellement comme étant Mohsen Fakhrizadeh, chef du département recherche et innovation du ministère – a été « gravement blessé » lorsque sa voiture a été prise pour cible par plusieurs assaillants, qui ont en retour été pris à partie par l’équipe de sécurité du scientifique, a poursuivi le ministère dans un communiqué, précisant que l’équipe médicale n’était pas parvenue à le réanimer.

D’après l’agence de presse semi-officielle Tasnim, «les terroristes ont fait exploser une autre voiture» avant d’ouvrir le feu sur le véhicule transportant le scientifique et ses gardes du corps. Sur Twitter, l’agence officielle Fars a publié des photos du site présumé de l’embuscade, montrant une berline noire au pare-brise criblé de balles, la carcasse calcinée d’une voiture et des traces de sang sur la route.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a condamné cet assassinat, parlant d’un « acte terroriste » et évoquant des « indications sérieuses du rôle d’Israël ».

«Des terroristes ont assassiné aujourd’hui un éminent scientifique iranien. Cette lâcheté – avec des indications sérieuses du rôle d’Israël – montre le bellicisme désespéré de ses auteurs», a tweeté Zarif. Le chef de la diplomatie a également appelé la communauté internationale à «mettre un terme à ses honteuses positions ambivalentes et à condamner cet acte terroriste».

Le chef de l’état-major iranien, le général de division Mohammad Baghéri, a prévenu qu’une « vengeance terrible » attendait les personnes derrière cet assassinat.

Trump s’abstient de commenter

Le Président américain sortant Donald Trump a retweeté des informations sur l’assassinat du scientifique, sans toutefois y ajouter de commentaire personnel.

La semaine dernière, le New York Times a rapporté que l‘actuel résident de la Maison-Blanche avait demandé à ses conseillers, qui l’en ont dissuadé, s’il pouvait bombarder une installation nucléaire iranienne. Le journal explique qu’une telle attaque aurait empêché son vainqueur à l’élection présidentielle, Joe Biden, de renouer le dialogue avec Téhéran.

« Les groupes terroristes et les responsables et les auteurs de cette tentative lâche doivent savoir qu’une vengeance terrible les attend », a tweeté Mohammad Baghéri, selon l’agence de presse étatique Irna. Il a qualifié la mort de Mohsen Fakhrizadeh de « coup amer et lourd », assurant que les Iraniens « n’auront pas de repos tant que nous n’aurons pas pourchassé et puni » les personnes impliquées.

Le commandant en chef de l’armée iranienne, Abdoulrahim Moussawi, a accusé les États-Unis d’en être responsables.

«On y distingue bien la main criminelle de l’Amérique et du régime sioniste», a déclaré M.Moussawi, cité par l’agence de presse ISNA.

« C’est un pilier du programme de recherche nucléaire iranien depuis de longues années », confirme Pierre Razoux, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire et spécialiste de l’Iran, sur France 24. « Il était dans la ligne de mire depuis des années des services de renseignements américains et israéliens. L’assassinat porte certainement la marque de ces derniers. »

Cheville ouvrière du programme nucléaire iranien

Mohsen Fakhrizadeh est l’unique scientifique iranien nommément désigné dans « l’évaluation finale » sur le programme nucléaire iranien que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a remis en 2015.

« Les informations dont disposait l’Agence avant novembre 2011 indiquaient que l’Iran avait pris, grâce à un certain nombre de structures de gestion différentes et évolutives, des dispositions pour que soient entreprises des activités à l’appui d’une dimension militaire possible de son programme nucléaire », écrit-elle dans ce rapport. « Les informations indiquaient que les activités avaient commencé à la fin des années 1980 au sein de départements du Centre de recherche en physique (CRP) et avaient ensuite été concentrées, au début des années 2000, sous la direction de Mohsen Fakhrizadeh, dans des projets du plan Amad. »

Le gouvernement israélien considère que le plan Amad, abandonné en 2003, avait effectivement pour but d’acquérir l’arme atomique et dit s’être procuré une grande partie des « archives » nucléaires iraniennes à ce sujet.

« Souvenez-vous de ce nom, Fakhrizadeh », avait déclaré le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, dans le discours prononcé en 2018 au cours duquel il a révélé l’existence de ces documents.

Malgré l’arrêt du plan Amad, Mohsen Fakhrizadeh a continué à travailler à des « projets spéciaux » pour le compte du ministère iranien de la Défense, avait-il ajouté.

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Identifié par l’AIEA

Dans un rapport de 2011, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) présentait le scientifique, par ailleurs commandant des gardiens de la révolution, comme une figure essentielle du programme nucléaire de l’Iran. Il était d’ailleurs le seul dont le nom apparaissait dans l’annexe très détaillée du rapport, qui concluait à l’époque que Téhéran semblait avoir travaillé à la conception d’une bombe nucléaire.

Dans ce rapport, puis dans son évaluation finale sur l’Iran publiée fin 2015, l’AIEA notait que Fakhrizadeh était en charge du projet Amad, un programme de recherche sur l’uranium, sur des explosifs de forte puissance et sur la modification des têtes explosives de missiles. Un programme lancé à la fin des années 1980 et interrompu brutalement en 2003. Donald Trump et son allié israélien Netanyahou accusent régulièrement l’Iran de chercher à relancer en secret sa quête de l’arme atomique. Mais ni l’AIEA, ni les services de renseignements occidentaux – y compris américains – ne partagent cette conclusion.

«Il est approprié de désigner Fakhrizadeh comme le père du programme passé d’armes nucléaires de l’Iran, celui qui s’est terminé en 2003 selon les Etats-Unis et l’AIEA. Il n’y a aucune preuve d’un programme actuel d’armes nucléaires en Iran», a ainsi souligné l’expert américain Richard Johnson. Chargé de la mise en oeuvre de l’accord avec Téhéran au sein du département d’Etat, ce spécialiste en prolifération nucléaire avait démissionné en mai 2018 après la décision de Donald Trump de s’en retirer.

«Fakhrizadeh était au programme nucléaire iranien ce que Soleimani était à son réseau de relais [régionaux]. Il était déterminant dans son développement et dans la création d’une infrastructure pour le soutenir», a commenté de son côté Ariane Tabatabai, chercheuse au German Marshall Fund et à l’université Columbia. Les deux hommes avaient des rôles cruciaux, mais pas la même aura.

Avec agences