S’il est inutile de polémiquer au sujet de l’Open Sky que signera la Tunisie avec l’Union Européenne le 11 décembre prochain, ceci n’enlèvera en rien ma conviction sur le bien-fondé de toutes les analyses que j’ai eu l’occasion de publier à plusieurs reprises à ce sujet. C’est avant tout un problème de choix de priorités et d’équilibres macroéconomiques.
Même si cet accord revêtira la signature tunisienne, n’ayant pas eu d’autres alternatives compte tenu du contexte dramatique actuel, la Tunisie aura été mise devant le fait accompli par la partie européenne en appliquant cet Open Sky qui est comme on le sait, avant tout une étape de la feuille de route du partenariat issu du processus de Barcelone que l’UE veut compléter par l’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi (ALECA) tout en refusant de répondre favorablement à la demande légitime des tunisiens de l’établissement au moins d’un bilan du partenariat de 1995 à ce jour avant de continuer à mettre en application ses étapes à venir ! La réponse européenne a été de dire l’ALECA c’est maintenant ou jamais et sans bilan préalable !
Il est évident que pour l’Union Européenne, la Tunisie n’est pas la Grèce qui, rappelons-le, a bénéficié en 2014 d’une aide de l’Europe de 80 milliards de $ pour remettre en fonctionnement son système bancaire à l’arrêt et de 210 autres milliards de $ pour le redressement de son économie.
De son côté la Tunisie est toujours en attente de la concrétisation des promesses du G8 et du G20 pour financer le «Plan Jasmin» censé lancer un nouveau mode de développement capable de répondre aux aspirations du peuple. Un plan qui devait relancer l’économie du pays et ouvrir de nouvelles perspectives de croissance et de développement. Il lui reste à espérer la concrétisation des promesses du plan H2020.
Face à cette situation, le reproche selon moi n’est à faire ni aux européens ni à personne d’autre. Ma colère est grande à l’égard de la classe politique tunisienne qui se livre depuis plus de six ans, au niveau de toutes les institutions de l’Etat tunisien, à des règlements de compte qui ruinent le pays. Au lieu de mettre sur la table les dossiers de développement qui concernent l’avenir de ce peuple tunisien qui s’est révolté pour réclamer plus de dignité de travail et de liberté, les hommes politiques se livrent à des représailles, des guerres inutiles, ridicules et sans fin.
Dès le lendemain de la révolution de 2011, la Tunisie a été envahie par tous les exclus politiques des régimes passés qui sont revenus au pays pour casser du tunisien, mettre à terre la bâtisse Tunisie et se venger de tout ce qui pouvait leur rappeler les régimes ayant gouverné la Tunisie depuis son indépendance en 1957. La chasse aux sorcières n’a que trop duré. Les revenants de l’exil ont trouvé un pouvoir vacant, un tunisien docile et sans défense, ainsi qu’une soupe plus que bonne. Des milliards de dinars ont été distribués entre ces rapatriés qui se sont servi pour s’indemniser mutuellement en étant juges et parties.
Un imminent dirigeant de parti est allé jusqu’à déclarer, lors de l’une de ses interviews à la télé, en affichant un sourire qui en disait long sur sa satisfaction, qu’il remerciait Dieu car son parti avait demandé par le passé une échoppe parmi d’autres pour exposer sa marchandise qui lui a été refusée et Dieu les a entendus en leur offrant non seulement l’échoppe mais le centre commercial dans sa totalité ! Que voulez-vous penser devant une telle déclaration à part vous alarmer quant à l’avenir de la Tunisie.
Ce chef de parti ne voit pas que Dieu ne lui a rien donné du tout. Il ne voit pas que c’est lui qui est rentré en Tunisie avec ses copains pour se servir en s’accaparant la révolte des pauvres gens et des martyrs qui ont donné leurs vies pour dire stop à la pauvreté, au chômage et à l’humiliation.
Ces pauvres d’en bas ont cru échapper aux gouttes de pluie en se révoltant mais ne soupçonnaient pas qu’ils allaient se retrouver sous un déluge. Un déluge de haine et d’ignorance qui n’ont cessé de tirer la Tunisie vers des siècles et des pratiques qu’on croyait révolus à jamais.
La haine chez les revenants de l’exil n’a rien épargné, ni personne. Quand elles ne se sont pas expatriées d’elles mêmes fuyant la misère de l’ignorance, les nombreuses compétences de la Tunisie se sont retrouvées écartées, exclues, emprisonnées, mises en résidence, interdites de voyager, entraînant de fait l’arrêt brutal du moteur de fonctionnement et de développement du pays. Un pays construit de génération en génération avec amour et abnégation.
La haine du pays et de son drapeau, l’amateurisme, la frilosité, la soif du gain, le tâtonnement ont remplacé le nationalisme, l’altruisme, la maturité, le savoir-faire, l’assurance et la compétence de la grande majorité des tunisiens qui ont servi loyalement la nation. De pays avancé, la Tunisie a perdu en six ans toute sa science, toutes ses bonnes notes souveraines pour se retrouver à nouveau parmi les pays à la traîne.
Le taux de croissance cumulé en six ans n’a pas réellement dépassé les 3%. L’inflation est revenue à des taux dépassant les 7 à 10%. L’endettement du pays est passé de 24% de son PIB à environ 70%. Les réserves en devises ont fondu comme neige au soleil. Le Dinar a fini par plier le genou et perdre les six derniers mois 40% de sa valeur face aux devises étrangères.
La Tunisie vit un vrai cauchemar et n’entrevoit aucune porte de sortie. La loi de finances 2018 a du mal à convaincre. Pour la première fois dans l’histoire c’est un syndicat patronal et non ouvrier, l’UTICA, qui menace de boycotter la loi de finances et de faire grève.
Sans aller plus dans le négatif et le pessimisme, nos politiques ont perdu la main sur les dossiers économiques. La Tunisie continue à fonctionner sans réelle planification économique. En prenant leurs fonctions, les responsables font ce qu’ils peuvent avec les dossiers qu’ils trouvent dans leurs tiroirs.
Beaucoup de ces dossiers portent sur des projets qui proviennent des accords de partenariat de la Tunisie avec l’Union Européenne. Un partenariat qui pesait pour plus de 80% de l’économie tunisienne d’avant la révolution de 2011. Personne ne sait vraiment ce qu’il faut en faire. Alors faute de savoir on évite d’avancer et de prendre des décisions !
Des think tank ont été constitués par des personnalités alarmées par la situation et qui souhaitent apporter de l’aide à leur pays. Le CIPED propose carrément tout un plan économique et financier de sortie de crise.
Dans ce contexte, on signe l’Open Sky sans avoir été capable de prendre la main sur nos dossiers, de faire nos bilans et nos études pour enfin tourner la page « Révolution » et tracer notre avenir par nous-mêmes, définir nos plans d’action et de croissance en sachant ce que nous souhaitons réellement de nos partenaires.
Nous ne pouvons jeter la pierre ni aux européens ni à personne. Il nous appartient de nous remettre au travail et de planifier nos priorités et nos actions.
Si j’avais une priorité à faire passer auprès de nos partenaires européens avant l’Open Sky cela aurait été celle de nous aider à nous doter plutôt d’un réseau de transport ferroviaire propre, performant et moderne.
Même en allant dans la logique de l’Open Sky et d’une augmentation sur les 5 prochaines années de 10 à 15% des entrées des étrangers en Tunisie, j’estime qu’il est enfantin de constater qu’il serait prioritaire pour la Tunisie de disposer des infrastructures nécessaires pour être à la hauteur des attentes de ses visiteurs.
La priorité de la Tunisie n’est pas dans l’installation des enseignes commerciales européennes dans le pays ni dans l’augmentation démesurée du parc automobile tunisien avec des infrastructures routières qui ne suivent pas et classent le pays parmi les pays à très fort taux de mortalité sur les routes.
La majorité des tunisiens que je rencontre appellent de tous leurs vœux le développement du partenariat Euromed. Ils réclament par contre la réécriture des bases de ce partenariat afin d’en changer les fondements et les priorités pour le rendre plus équitable, plus durable et plus performant et ce dans l’intérêt de tous. Les tunisiens ne veulent plus revivre de Révolutions causées par un développement insuffisant et inéquitable.
Pour conclure, je réitère mes vœux les plus sincères pour la réussite de l’Open Sky avec l’Union Européenne et j’affirme toute ma solidarité et ma sympathie aussi bien à nos amis de Nouvelair que de Tunisair en leur souhaitant de performer, de nous éblouir, de nous épater non seulement en résistant mais en remportant de multiples victoires afin de maintenir bien haut le pavillon tunisien. Nous avons confiance dans la capacité des tunisiens à relever les défis.
Hakim Tounsi