Soudan : l’excision qui meurtrit 9 fillettes sur 10 sera désormais punie par la loi

Le Soudan a adopté un amendement qui criminalise les mutilations génitales féminines. Désormais, toute personne pratiquant une excision encourt une peine de prison et une amende.

Le Soudan vient de franchir un pas important dans la lutte contre l’excision. Dans ce pays, où près de 90% des femmes sont excisées, les nouvelles autorités viennent de criminaliser cette mutilation génitale considérée comme une torture par l’ONU. Reste encore à faire appliquer la loi, car il ne suffit pas d’interdire pour mettre un coup d’arrêt à cette pratique culturellement très ancrée.

Un an après la chute du régime islamiste d’Omar el-Béchir, c’est l’aboutissement d’une lutte de longue haleine pour les femmes au Soudan : un article de loi, qui prévoit une peine allant jusqu’à trois ans de prison, va être ajouté dans le Code pénal national.

Cette victoire a été obtenue après plus d’une décennie d’un combat mené par des associations soudanaises de défense des droits de l’Homme. Et alors que l’ex-dictateur, à la tête du pays durant 30 ans après un coup d’Etat soutenu par les islamistes, avait écarté un projet de loi contre l’excision en 2015. Les Soudanaises ont elles-mêmes joué un rôle de premier plan dans cette révolte ayant débouché, après la chute d’el-Béchir en avril 2019, sur la formation d’un gouvernement de transition vers un pouvoir civil l’été suivant.

Une première victoire pour les Soudanaises

« La prévalence des mutilations génitales féminines au Soudan est l’une des plus élevées au monde. Il est maintenant temps de recourir à des mesures punitives pour garantir que les filles soient protégées de cet acte », a déclaré à Reuters Faiza Mohamed, directrice régionale d’Equality Now. « L’Afrique ne peut prospérer que si elle prend soin des filles et des femmes », ajoute-t-elle.

Au Soudan, selon les défenseurs des droits des femmes, au cours des trois dernières décennies, l’excision a même regagné des contrées où elle avait cessé d’être pratiquée, comme les montagnes de Nubie (nord). Si les milieux les plus conservateurs estiment qu’elle préserve la chasteté, nombre de chefs religieux se sont prononcés contre.

« Pénaliser l’excision n’est pas contraire à la religion. Il n’y a pas de textes (religieux) qui permettent la circoncision des femmes », souligne Sherine Abu Bakr, une militante de 28 ans. « Si nous sommes heureux de l’amendement, la loi seule ne suffit pas », résume pour sa part Manal Abdel Halim, de Salima, une initiative locale de lutte contre l’excision. « Nous avons toujours besoin de plus de campagnes de sensibilisation. »

Selon Zeinab Badreddin, une militante, les peines prononcées en justice devraient inclure les membres de la famille faisant pression en faveur de l’opération.

« Cette pratique n’est pas seulement une violation des droits des jeunes femmes, elle (…) a de graves conséquences pour la santé physique et mentale » . Abdulah Fadil, représentant de l’Unicef à Khartoum cité par l’AFP

Reste maintenant à faire appliquer la loi, car l’excision est une pratique culturelle très ancrée dans le pays. « Traditionnellement, les Soudanais croient que couper les parties génitales externes d’une fille est gage d’honneur et d’un bon mariage dans l’avenir. Mais cette mutilation peut conduire à des infections et, dans les pires cas, à une infertilité ou à des complications lors des accouchements. Et cela diminue énormément le plaisir sexuel », explique le média soudanais Radio Dabanga.

«Grand pas»

Avant même sa promulgation, l’amendement a d’ores et déjà été salué par les organisations de défense des droits de la personne, qui ont inlassablement plaidé cette cause durant des décennies.

«C’est un grand pas pour les femmes soudanaises», déclare ainsi à l’AFP Zeinab Badreddin, une militante.

«Cette pratique n’est pas seulement une violation des droits des jeunes femmes, elle (…) a de graves conséquences pour la santé physique et mentale», renchérit Abdullah Fadil, représentant de l’Unicef à Khartoum.

Au Soudan, l’excision, qui peut être mortelle dans certains cas, est encore vue comme un «rite de passage» –près de neuf femmes sur 10 l’ont subie, selon les Nations unies. C’est aussi le cas dans un nombre encore significatif de pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, en particulier en milieu rural.

Et la criminalisation de la pratique n’est qu’une étape d’un long processus sociétal permettant sa disparation, comme le prouve la situation en Égypte voisine.

Le chemin est encore long

Il faudra donc une révolution culturelle pour mettre réellement un terme à ces mutilations génitales. L’exemple de l’Egypte est une vaie mise en garde. Ce pays a interdit la pratique de l’excision en 2008 assortie de peines allant jusqu’à sept ans de prison. Mais, selon une étude de l’Unicef de 2016, cela n’a pas pas changé fondamentalement les pratiques, aujourd’hui encore, 70% des Egyptiennes subiraient une mutilation génitale avant leurs 12 ans.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les complications médicales liées à ces mutilations se chiffrent à 1,4 milliard de dollars en 2018. Au total, ce sont plus de 200 millions de femmes et de filles qui auraient subi des mutilations génitales dans 31 pays à travers le monde, essentiellement en Afrique.

Douleurs atroces accompagnées de chants et de  Youyou 

Des décennies après son excision, Hakam Ibrahim se souvient encore de la «douleur atroce» ressentie, enfant, au moment de son excision, une pratique ancestrale qui reste très répandue au Soudan, où elle est toutefois en passe d’être punie par la loi.

Aujourd’hui âgée d’une quarantaine d’années, elle évoque les chants et les «youyous» des femmes de son quartier de Khartoum la nuit ayant précédé cet acte de mutilation.

Alors âgée de sept ans, cette Soudanaise se rappelle s’être ensuite retrouvée en robe blanche dans une petite pièce pour subir l’opération qui implique l’ablation de tout ou partie des organes génitaux externes à des fins non médicales.

«On m’a mise sur un lit et j’ai ressenti une douleur atroce dans tout le corps», raconte-t-elle à l’AFP, en ajoutant: «ça a duré une semaine entière».

Les femmes soudanaises ont elles-mêmes joué un rôle de premier plan dans cette révolte ayant débouché, après la chute de Béchir en avril 2019, sur la formation d’un gouvernement de transition vers un pouvoir civil l’été suivant.