Rue des prairies : un hymne à l’amour paternel

Je viens de regarder « Rue des prairies »  de Denys de la Pattelière. C’est une adaptation d’un roman de Paul Louis Lefèvre qui est sortie en 1959 et Jean Gabin est tête d’affiche de ce film. Magnifique !

« Rue des prairies » nous plonge dans le Paris des années 1950. C’est un drame socio-familial qui se déroule dans la France de l’après-guerre, et plus précisément dans un Paris populaire qui a disparu à jamais. Ce film est très réaliste et a une dimension sociale très prononcée.

Le film s’ouvre en 1942. Henri Neveux revient d’Allemagne où il fut emprisonné deux années durant. C’est l’histoire d’un ouvrier de Paris qui a élevé ses enfants seul jusqu’à leur majorité : l’aîné, Louis (Claude Brasseur), est champion de cyclisme sur piste. La sœur (Marie-José Nat) pose pour devenir cover-girl et caresse le rêve d’un avenir doré. Le cadet, Fernand (Roger Dumas), est le fruit d’une liaison adultère de sa femme décédée. C’est un élève turbulent qui collectionne les bagarres au lycée.

Dans ce film, Henri Neveux incarne à lui seul ce petit monde prolétaire attachant qui fréquente les bistrots et se passionne pour le vélo. Jean Gabin est très juste dans sa figure de prolo au grand cœur. Mais l’autorité du père sera progressivement remise en question et l’entente familiale va se désagréger au gré des diverses ambitions.

Les enfants ont grandi et veulent prendre leur destin en main. Les mœurs sont en train d’évoluer et Henri Neveux a du mal à s’adapter à un monde dans lequel ses enfants aspirent à plus de liberté. Il est pris dans le tourbillon des mutations des mœurs et du conflit des générations. Il les sermonne, il les tance de peur de les voir faire de mauvais choix, mais des tensions se développent entre lui et ses enfants et le tableau familial se noircit au fil des péripéties.

« Rue des prairies » parle d’un homme veuf qui a élevé ses trois enfants avec beaucoup d’amour et le peu de moyens dont il disposait. Il explore les relations père/enfants dans un monde en pleine mutation. Henri Neveux est confronté à la volonté d’émancipation de ses enfants et à l’évolution des mœurs. Les enfants veulent à tout prix réussir mieux que leur père. Le récit de famille s’esquinte par les secrets inavouables et les non-dits qui rendent certains échanges tendus entre les différents membres de la famille.

L’excellente interprétation des acteurs, à commencer par Gabin qui est très touchant dans ce film, conjuguée au scénario d’un Michel Audiard au faîte de son génie a donné des scènes d’anthologie. La scène de dispute entre Henri Neveux et sa fille Odette, laquelle est devenue l’amante d’un homme très riche, issu de la haute société, mais beaucoup plus âgé qu’elle, est tout bonnement cultissime. C’est, en réalité, la scène du film que je préfère. Elle est jalonnée de répliques cinglantes dont seul Audiard a le secret.

La scène de la réconciliation entre le père et son fils adoptif est émouvante. En effet, Henri et Fernand auront compris, devant le tribunal pour mineurs – le garçon allait être jugé pour une rixe et une fugue -, qu’ils étaient bien père et fils et que l’amour paternel et l’amour filial pouvaient être très forts même en l’absence de lien de sang : « Je sais depuis des années que je ne suis pas son fils. Mais, depuis que le connais, je sais qu’il est mon père parce que c’est lui qui m’a mis de la soupe dans mon assiette et des godasses aux pieds » a déclaré Fernand au tribunal. Le verbe d’Audiard est bien reconnaissable dans cet extrait.

C’est, en effet, le génie de Michel Audiard qui donne à ce film sa véritable identité.

Pierrot LeFou