« On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde »

Pierre Desproges est né le 9 mai 1939. Il maniait de main de maître aussi bien l’humour que l’imparfait du subjonctif et n’aimait ni les beaufs, ni les bien-pensants.

L’humoriste amorce sa carrière professionnelle comme journaliste au quotidien L’Aurore, dans la rubrique des « chiens écrasés », où son style cinglant lui attire des inimitiés. Il est sur le point d’être licencié, quand Françoise Sagan, alors au faîte de sa gloire littéraire, assure qu’elle n’achète L’Aurore que pour le lire. Il est sauvé.

Peu de temps après, il intègre le monde de la télévision en rejoignant l’équipe du Petit Rapporteur, une émission satirique créée par Jacques Martin. Son humour noir et son impertinence le font connaître auprès du grand public et son goût pour l’imparfait du subjonctif mâtiné d’argot fait mouche.

Ensuite, il passe à France Inter où il devient le procureur fantasque du Tribunal des flagrants délires et, avec Luis Rego et Claude Villers, fait rire la France entière. Il propose, à la même époque, du lundi au vendredi sur FR3, La Minute nécessaire de monsieur Cyclopède.

Pierre Desproges ne se considérait pas comme un comique : « Un comique, c’est un type qui a le nez rouge, qui pète à table et qui se met une fausse barbe » disait-il. Il ne se considérait pas non plus comme un humoriste : « C’est un mot grave et prétentieux, comme philosophe. »

Pierre Desproges ne se refusait pas le plaisir de la bravade, ou « le plaisir aristocratique de déplaire » pour reprendre une citation célèbre de Baudelaire. Il pratiquait l’inconvenance sans tabou et avec beaucoup d’élégance, tel était son créneau.

Ainsi, il osera écrire dans un de ses ouvrages : « Les animaux sont moins intolérants que nous ; un cochon affamé mangera du musulman. » (Fonds de tiroir, 1990). Une citation pareille lui vaudrait, aujourd’hui, une kyrielle de procès et des menaces de mort.

Il prend également la défense des immigrés maghrébins dans son célèbre sketch « Les Rues de Paris ne sont plus sûres » et prononce un réquisitoire incendiaire au cours duquel il épingle Jean-Marie Le Pen à la suite de l’élection de trente-cinq députés du Front national à l’Assemblée national (cf. Le Tribunal des flagrants délires).

Pierre Desproges était féru de littérature et connaissait ses classiques. Il lisait Rabelais, Voltaire, Flaubert, Alexandre Vialatte et sa passion pour Alphonse Allais lui inspirait de savoureux et incisifs aphorismes. Toutefois, la magie du verbe désopilant et satirique masquait l’amertume du constat.

Il était aussi conservateur et avait peu de considération pour le régime démocratique : « La démocratie, c’est la loi du plus grand nombre, et le plus grand nombre, c’est les gens qui regardent Patrick Sabatier. Que ces gens-là votent, je trouve ça scandaleux » disait-il.

Cette dernière citation, répondant si exactement à mon actuel état d’esprit, devrait vous donner envie de procéder à quelque transposition.

Le 18 avril 1988, l’humaniste pessimiste à l’humour cynique et grinçant succombe à un cancer du poumon. Il repose, aujourd’hui, au cimetière du Père-Lachaise.

Quelques citations de Pierre Desproges :

« La naïveté grotesque des enfants fait peine à voir, surtout si l’on veut bien la comparer à la maturité sereine qui caractérise les adultes. Par exemple, l’enfant croit au Père Noël. L’adulte non. L’adulte ne croit pas au Père Noël. Il vote. »

(Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis, 1981)

« C’est important l’intelligence.
L’intelligence, c’est le seul outil qui permet à l’homme de mesurer l’étendue de son malheur.
L’intelligence c’est comme les parachutes, quand on n’en a pas, on s’écrase. »

(Textes de scène, 1988)

« Hiroshima, mon amour…
Quel étrange cri, disait Marguerite Yourcenar, à propos de ce titre de Marguerite Duras. Oui, Marguerite Duras, vous savez, l’apologiste sénile des infanticides ruraux… Marguerite Duras, qui n’a pas écrit que des conneries. Elle en a aussi filmé.
Mais c’est vrai, quel étrange cri : Hiroshima, mon amour. Et pourquoi pas Auschwitz, mon loulou ? »

(Textes de scène, 1988)

« La femme est assez proche de l’Homme, comme l’épagneul breton. À ce détail près qu’il ne manque à l’épagneul breton que la parole, alors qu’il ne manque à la femme que de se taire. Par ailleurs, la robe de l’épagneul breton est rouge feu et il lui en suffit d’une. »

(Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis, 1985)

« En vieillissant, le whisky gagne en platitude ce qu’il perd en infamie. On peut y conserver ses bébés mort en bas Armagnac. »

(Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis, 1985)

« Les noirs ont le rythme dans la peau, la peau sur les os et les os dans le nez. »

(Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis, 1985)

« Quand un Blanc dit qu’un Noir est un con, on dit que le Blanc est raciste. Quand un Noir dit qu’un Blanc est un con, on dit que le Blanc est un con. Ce en quoi on a tort : on peut très bien être noir, et con. »

(Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis, 1985)

« Ce n’est pas parce que l’homme a soif d’amour qu’il doit se jeter sur la première gourde. »

(Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis, 1985)

« Si c’est les meilleurs qui partent les premiers, que penser alors des éjaculateurs précoces ? »

(Fonds de tiroir, 1990)

« On ne dit plus un avortement mais une interruption volontaire de grossesse, ceci afin de ménager l’amour-propre du fœtus. »

(Fonds de tiroir, 2008)

« Entre une mauvaise cuisinière et une empoisonneuse il n’y a qu’une différence d’intention. »

(Fonds de tiroir, 2008)

« Voilà bien la différence entre le singe et le footballeur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s’abaisser à jouer au football. »

(Chroniques de la haine ordinaire, 1987)

« L’amour […], il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui le font. Et à partir de quoi il m’apparaît urgent de me taire. »

(Les réquisitoires du tribunal des flagrants délires, 2003)

« Moralement, de très nombreuses personnes parviennent cependant à supporter assez bien la vie en s’agitant pour oublier, c’est ainsi que certains sont champions de course à pied, président de la République, alcooliques ou chœurs de l’armée rouge. Autant d’occupations qui ne débouchent évidemment sur rien d’autre que sur la mort, mais qui peuvent apporter chez le malade une euphorie passagère, ou même permanente, chez les imbéciles notamment. »

(Vivons heureux en attendant la mort, 1983)

« On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. »

(Les réquisitoires du tribunal des flagrants délires, 2003)

Par Pierrot LeFou