On ne peut se hasarder à bousculer une œuvre littéraire aussi imposante et intimidante que Madame Bovary

France 2 a diffusé, en début d’après-midi, l‘adaptation du classique de Gustave Flaubert réalisée par Claude Chabrol au début des années 1990 : Madame Bovary. Le jeu des acteurs est bon. Isabelle Huppert incarne merveilleusement bien ce personnage mythique. François Balmer est absolument parfait dans le rôle de Charles Bovary. Il en est de même pour Jean Yanne dans le rôle du bouillonnant Homais, le pharmacien scientiste et athée, et Christophe Malavoy dans celui de l’amant séducteur, faussement passionné et cynique.

Même si des passages entiers de l’œuvre sont passés à la trappe, Chabrol restitue assez bien ce roman classé parmi les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Il faut dire qu’il n’est pas aisé d’adapter à l’écran un monument littéraire tel que Madame Bovary. Claude Chabrol a beau rester fidèle à la trame narrative du roman, on comprend que la puissance littéraire de l’œuvre est difficilement transposable à l’écran, quelque soit le nom du réalisateur. Cela étant, la voix off du narrateur François Périer offre au film un caractère littéraire plus prononcé. Qui plus est, cette voix narratrice n’est pas sans nous rappeler le beau cinéma de François Truffaut, un des parangons de la Nouvelle Vague avec Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Éric Rohmer, Jacques Resnais…

Chassé-croisé entre le roman de Gustave Flaubert et son adaptation à l’écran par Claude Chabrol

S’inspirant d’un fait divers banal dont il décrit les personnages et le cadre (des bourgs de Normandie) avec un réalisme scrupuleux, Flaubert entreprend de peindre un sentiment d’insatisfaction complaisante dans les domaines affectif, sexuel et social, baptisé depuis le bovarysme. En effet, cette provinciale romantique, insatisfaite, rêveuse, vivante, pulsionnelle, mélancolique et désespérée est devenue la métaphore des femmes qui sont installées bourgeoisement dans leurs meubles, mènent une vie des plus conventionnelles et qui, en même temps, s’ennuient en étant englouties dans un quotidien sans réelle saveur et suffoquent sous le poids du conformisme bourgeois. En effet, de nombreuses femmes se reconnaissent dans le personnage de Madame Bovary car son histoire est celle de tant de cœurs et d’âmes en peine. Ce chef-d’œuvre de Flaubert agit comme un miroir.

Emma Bovary est une fille de paysan dont l’éducation au couvent a exacerbé les aspirations romanesques. Elle s’ennuie parmi les bourgeois de province qui peuplent son quotidien et auprès d’un époux terne et médiocre, mais bon et très amoureux d’elle. Nourrie comme elle est de lectures romanesques, aspirant à des amours romantiques et une vie de luxe que ne lui apportent ni son mari ni la bourgeoisie terne et pontifiante de la ville, elle s’évade de cette réalité terne dans un romantisme de pacotille, puis dans un double adultère qui la laisse insatisfaite.

Ce tableau réaliste et sévère des « mœurs de province » est également une satire de la société bourgeoise et de toutes les formes de conventions. D’ailleurs, l’ouvrage est taxé d’immoralité à sa sortie. Claude Chabrol, maître incontesté dans l’observation des mœurs bourgeoises, mais aussi dans celle de la lâcheté et des monstruosités que recèle la nature humaine, glanait dans son domaine de prédilection.

En 1856, le roman est achevé après maintes souffrances et tortures car la rédaction de ce roman a été un véritable supplice pour Flaubert : « Ce livre me tue ; je n’en ferai plus de pareils. Les difficultés d’exécution sont telles que j’en perds la tête dans des moments. On ne m’y reprendra plus à écrire des choses bourgeoises » écrivait Flaubert, en 1853, dans une lettre destinée à sa maîtresse Louise Colet. Dans une autre lettre envoyée à Hyppolyte Taine (historien, philosophe et lecteur de Faubert), en 1866, Flaubert lui fait part des brûlants tourments qu’il a éprouvés en rédigeant Madame Bovary : « Quand j’écrivais l’empoisonnement de Madame Bovary j’avais si bien le goût de l’arsenic dans la bouche, j’étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné deux indigestions coup sur coup, – deux indigestions réelles, car j’ai vomi tout mon dîner. » D’ailleurs, la longue et douloureuse agonie d’Emma Bovary a été formidablement portée à l’écran par Claude Chabrol ; c’est une des plus belles scènes du film.

Le roman est achevé en 1856. Il commence à paraître en feuilleton dans La Revue de Paris qui en supprime certains passages jugés osés. Flaubert en est meurtri. Malgré cette censure, le succès tourne rapidement au scandale. La justice trouve que certaines pages portent atteinte aux bonnes mœurs. Flaubert comparaît au tribunal correctionnel pour outrage à la morale publique et religieuse. Ce procès, à la suite duquel il sera acquitté, portera un coup rude à Flaubert. Ce décide de ne plus rien écrire, avant d’entamer la rédaction de Salammbô un an plus tard.

En définitive, l’adaptation de Claude Chabrol mérite d’être vue, même si le célèbre réalisateur a fait preuve de frilosité. Mais cela est tout à fait compréhensible, on ne peut se hasarder à bousculer une œuvre littéraire aussi imposante et intimidante que Madame Bovary.

Pierrot LeFou

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 l’humaine condition…

Plus de cent cinquante ans se sont écoulés , mais  » Madame Bovary  » garde toujours sa fraîcheur. Ce roman du XIXe siècle relate une histoire d’adultère en en faisant un élément prosaïque du monde petit-bourgeois et provincial tout aussi prosaïque dans lequel il évolue. Flaubert en fait en même temps quelque chose de poétique , de sordide , de mélancolique et de gai , prenant plaisir aux émotions déchaînées et à la confusion de sentiments que les clichés ne peuvent ni dissimuler ni contenir. Emma Bovary , une beauté prisonnière d’un mariage qui l’ennui , se languit des émotions fulgurantes dont regorgent les romans qu’elle dévore. Sa vie , son mari , son imagination ne lui suffisant pas , elle prend un amant , puis un autre , ce qui ne parvient pas non plus à la combler. Elle fait des emplettes , essayant de s’épanouir à l’aide d’une multitude de biens matériels. Lorsque ceux-ci ne parviennent pas à la satisfaire ses besoins , elle finit par mettre fin à ses jours , endettée et rongée par le désespoir.
Flaubert ne se moque pas d’Emma Bovary , mais il ne tombe pas pour autant dans le sentimentalisme ou le moralisme à outrance. Il ne traite ni son bonheur ni son désespoir comme des actes d’héroïsme. Le narrateur impersonnel et prosaïque , maître de précision et de détachement mais néanmoins attachant , presque charmant , montre la dérision de tout en gardant ses distances et enrichit le récit de son souci foisonnant du détail. Il en résulte un contexte dense non seulement pour Emma Bovary , mais aussi pour le roman , pour l’écriture elle-même. ( Source :  » Les 1001 livres qu’il faut avoir lus dans sa vie  » , éd Flammarion )

À la parution de  » Madame Bovary  » , un procès est intenté à Flaubert pour offense à la moralité publique , assurant de la sorte le succès du roman.
Les naïvetés de l’héroïne qui donne son nom au roman sont présentées sans aucune complaisance , sans pour autant lui aliéner la sympathie du lecteur.

Après  » Les Misérables  » de Victor Hugo , réalisé par Robert Hossein et la superbe prestation de Lino Ventura et  » Le Colonel Chabert  » d’Honoré de Balzac avec un époustouflant Gérard Depardieu , voici donc  » Madame Bovary  » de Claude Chabrol ( 1991 ) et Isabelle Huppert , Prix d’interprétation féminine au Festival de Moscou et une nomination au Golden Globe du meilleur film étranger ( 1992 )

France 2 excelle !

Mounira Aouadi