Négrophobie d’État en Tunisie: Communiqué de la Fondation Frantz Fanon

Le mardi 21 février 2022, le président tunisien, Kaïs Saïed, s’est dit alarmé du déferlement sur son pays de « hordes des migrants clandestins » en provenance de l’Afrique subsaharienne. En outre, il a interprété leur présence comme relevant d’une « entreprise criminelle pour changer la composition démographique » du pays en gommant son caractère « arabo-musulman ». Il a en outre laissé entendre que ces populations noires seraient des criminels en puissance faisant régner l’insécurité dans le pays.

De nombreux observateurs ont remarqué les similarités frappantes entre le discours du président et la fameuse théorie conspirationniste du Grand Remplacement qui circule depuis quelques années dans le monde occidental. Chez le personnel politique d’extrême-droite bien sûr : Éric Zemmour en France, la première ministre Giorgia Meloni en Italie, et de nombreux élus du parti Républicain aux États-Unis, entre autres. Mais aussi dans la prose des terroristes suprémacistes blancs comme Brenton Tarrant, l’assassin islamophobe des mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande ou, plus récemment, Payton Gendron, le tueur négrophobe de l’État de New-York.

Dans tous ces cas, c’est la même structure argumentative qui revient : on assimile la présence des populations noires ou immigrées à une entreprise génocidaire, à une tentative de détruire démographiquement, biologiquement et culturellement le peuple majoritaire. Cette entreprise serait ourdie par quelque puissance occulte, gouvernement mondial secret ou réseau d’influence omnipotent. Ces sophismes, invariablement assénés avec beaucoup de conviction mais aucune preuve, se donnent des allures d’analyse géopolitique. En fait, c’est une négrophobie d’État qui s’exprime au grand jour.

Aveuglé par le racisme, le président tunisien affecte de voler au secours de l’Islam et de l’identité arabe en singeant une théorie du complot qui a légitimé les pires politiques et les plus meurtriers attentats islamophobes du siècle. Alors que plusieurs ONG s’alarment depuis de nombreux mois d’un climat xénophobe et négrophobe qui s’intensifie, s’accompagnant de violations des droits humains, Kaïs Saïed a fait le choix d’accompagner et même d’intensifier cette lame de fond chauviniste raciste.

Depuis la publication de ces propos, les associations d’étudiants issus de différents pays d’Afrique subsaharienne recommandent à leurs membres la plus extrême prudence. Les administrations de certaines universités se sentent obligées de rassurer leurs usagers noirs face à l’éventualité prochaine de purges, alors que d’autres prennent au contraire le parti de multiplier les contrôles afin de traquer les irrégularités. Chacun est comme tenu de prendre position face à l’éventualité d’un nettoyage ethnique. Les propos du président participent à la construction d’un véritable climat de lynchage qui pousse déjà certains immigrés à quitter le pays. A bon droit, des manifestations s’organisent pour lutter contre ce racisme et cette tentation fasciste de plus en plus assumée. Mais derrière cette xénophobie se cache aussi un racisme structurel qui touche les migrants sub sahariens et tout autant les Tunisiens noirs qui sont invisibilisés et ignorés mais tout autant victimes d’attaques racistes et de traitements indignes.

Ni les crises politiques, ni la position subalterne de la Tunisie dans l’ordre international ne peuvent servir de circonstance atténuante à l’expression de cette négrophobie d’État. Comme l’écrit Frantz Fanon, « Une société est raciste ou ne l’est pas. Il n’existe pas de degrés du racisme. » Une culture nationale dont la survie exige l’humiliation, le harcèlement et la traque des populations noires ne mérite pas d’être sauvée.

La Fondation Frantz Fanon affirme sa solidarité sans réserve à l’égard des populations noires qui doivent faire face au racisme d’État actuel en Tunisie. Elle affirme également son soutien à toutes les organisations, ainsi qu’à toutes les citoyennes et les citoyens tunisiens qui ont fait le choix de s’opposer à la négrophobie.

Communiqué Fondation Frantz Fanon publié le 1 mars 2023