Ne serait-il pas plus rentable de former nos jeunes à des métiers qui n’existent pas encore ?

Depuis quelques jours, plusieurs articles de presse parlent du nombre de diplômés tunisiens admis à Polytechnique en France en baisse par rapport aux nombres d’admis marocains. Beaucoup de gens semblent y voir une catastrophe.

Même si l’on peut reconnaître que notre système éducatif est un navire qui coule, il faut peut être arrêter de juger nos besoins à l’aune de systèmes étrangers dépassés et qui ne sont pas systématiquement fait pour notre pays.

Dans le monde d’aujourd’hui, un polytechnicien même en uniforme, reste un produit, certes brillant, mais du 19ème siècle. Sa valeur ajoutée, dans le monde de demain n’est peut être pas déterminante. Même en terme de salaire, un bon software engineer formé en 4 ans dans une bonne université US (top100), pas forcément Yale ou Princeton ou toute autre école Ivy League, gagnera au moins deux fois le salaire du polytechnicien ou HEC ou les Mines, dès son diplôme en main.

Mes deux fils sont software engineers et travaillent aux USA, et j’ai vécu personnellement comment le système universitaire se projette vers l’avenir.

Il y a quelques années quand mon cadet était encore au lycée à Tunis, le problème du choix de la filière post baccalauréat s’était posé. Il irait aux USA parce que j’y paye mes impôts, sa résidence permanente est garantie et les avantages sont évidents mais pour faire quoi ? J’avais profité d’une visite à son frère aîné qui était déjà à la fac à NY pour demander à rencontrer le doyen de l’université. RDV a été pris et il m’a gentiment reçu comme les américains font, sans trop de protocole. A la question, « que peut faire un jeune lycéen qui est très honorable et qui, à 16 ans ne peut pas vraiment faire un choix de carrière ? », Il m’a demandé si mon fils était matheux (il l’est), puis m’a expliqué les progressions des métiers selon les chiffres du ministère US du travail qui travaille en étroite collaboration avec le réseau universitaire.

Pour les STEM (Science. Technologie. Engineering. Math), depuis 40 ans la progression constante des métiers était de l’ordre de 8 à 10% et elle serait du même ordre pour les 20 prochaines années. Pour les métiers Tech, la progression dépasse les 20%. Il m’a proposé de l’inscrire dans un projet pilote de mathématiques où les étudiants de 2ème année « s’amusent » (dixit: have fun) à faire des maths avec des Masterisants et des Doctorants et en 3ème année, ils peuvent décider de leur filière. Quand je lui ai posé la question de savoir quel métier il ferait, il m’a répondu: « Je ne sais pas, nous les formons à des métiers qui n’existent pas encore ! ». Mon fils a eu loisirs de changer trois fois de spécialités la première année et demie.

Il n’y a aucun doute sur la qualité et le prestige du système français, j’en suis le produit jusqu’au Bac, mais combien de polytechniciens sont nécessaires à la Tunisie chaque année et à quel coût?

Ne serait-il pas plus rentable et plus essentiel de former des gens à des métiers qui n’existent pas encore mais qui seront sûrement dans le numérique ? S’ils partent demain, tant mieux. ils gagneront plus qu’un médecin tunisien du même âge en France, donc plus de devise en volume, sans incidence sur la santé des tunisiens. Et s’ils décident de rentrer même temporairement, une bonne connexion internet leur suffira pour continuer à gagner des devises, en bons nomades digitaux, les pieds dans l’eau à Hammamet ou Djerba.

Il faut vraiment que ce pays, à commencer par son élite, change de paradigmes dans sa manière de penser et de se projeter dans le futur et dans d’autres espaces géographiques. En attendant que nos gouvernants se réveillent, comprennent et se recyclent.

Hisham Ben Khamsa