Mémoire & écumoire

« Billie Jean » de Michael Jackson dansé en version kabyle par Lala Qoqo,

Le 31 décembre 1985 – Chose promise, chose due. En hommage à Lala Qoqo.

En cette année-là, nous étions toutes sur le point de faire nos adieux à l’adolescence. On s’éclipsait une par une après chaque été. Nous en perdions souvent une à un mariage, à une décision du père ou du grand frère qui décide soudainement de l’arrêter dans ses études. Le plus dramatique était certainement celle qu’on perdait à un suicide. Je pense que cela continue de nous affecter toutes jusqu’à aujourd’hui et probablement jusqu’à demain. La taille de nos hanches et de nos seins avait priorité sur notre intelligence et nos ambitions en tant que femme. D’ailleurs, une femme intelligente en Kabylie était un danger, une menace à l’ordre établit par les « oums » Car on avait du mal à la caser facilement. C’était très paradoxal comment un homme valeureux en Kabylie n’était pas un homme jugé courageux, vaillant ou intelligent, mais plutôt sur l’oppression qu’il exerce férocement sur sa femme, ses filles, ses sœurs et souvent même sa mère. Bon, je ne vais pas m’attarder sur le côté négatif de notre société soit disant tolérante. Les vérités sont toujours acerbes à dire, mais les déguiser en mensonges pour nous les faire avaler n’est pas plus positif que cela.

A l’aube de la nouvelle année, nous étions allées chez notre voisine qui avait le privilège d’avoir une télévision. Même en noir et blanc, elle gardait toujours son prestige. Nous avions entendu parler que Michael Jackson serait dans un programme de variétés peu avant minuit. Nous adorions le voir danser sur « Billie Jean » que notre troupe de filles du Lycée avait traduit en kabyle et qu’on pouvait bien jouer avec un simple ‘avendir’ d’At Abbas et une demi-douzaine de hanches. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, Nous en avions fait notre chanson avec un succès aussi bien au lycée que dans le village. Ce soir-là, nous avions convaincu Lala Qoqo, notre voisine et la grand-mère d’une amie qui aimait bien danser de demander la permission à nos parents pour nous laisser veiller. Permission obtenue, nous avions toutes préparé le nécessaire culinaire pour la soirée. Lala Qoqo était tellement excitée qu’elle perdait des années au fil des heures, nous avions toutes peur, qu’avant l’arrivée de minuit, on aurait été obligé de lui donner le biberon. Elle rajeunissait a vue d’œil. Peu avant minuit, une coupure d’électricité vint nous priver du spectacle de notre vie et nous forcer à avoir la soirée de notre vie. Inoubliable serait simplement un euphémisme à la réalité et merveilleuse serait la jeter dans les bras de la banalité. Lala Qoqo mit Madonna au berceau, saisit un foulard derrière qu’elle mit derriere sa nuque en perdant gracieusement le contrôle de ses hanches et en gardant « Taqa3tt » (la piste de danse) jusqu’à l’exhaustion totale. On la réanima et elle reprit de plus belle. Une de nos amies qui avait appris parfaitement le ‘Moonwalk’ ajouta une autre dimension à la danse kabyle. Elle tenta patiemment de l’apprendre à Lala Qoqo toute la soirée sans succès apparent.

Alors les fêtardes, prenez ‘avendir ‘ At Abbas avec ses « Dz dz… dezdenda dezdenda…dz… » Légendaires et suivez Billie jean en kabyle.

Je vous la dédie à toutes et à tous, à toutes nos amies qui sont parties à la fleur de l’âge, à toutes celles dont la vie fut tournée aussi subitement qu’une page ; à toutes celles qui ont passées leur vie entre la peur et la rage ; à toutes celles qui ont perdues leurs ambitions dans un naufrage et à toutes celles qui ont gaspillées leur vie dans un mariage.
Une très bonne année à toutes et à tous!

Tess