Marcher sur des œufs

Lire est une prise de conscience, dans le plaisir absolu. Mais offrir un livre, c’est comme marcher sur des œufs !

Lire, c’est chercher à multiplier sa vie. Vivre des vies en bonne santé. Lire, c’est se regarder dans un éventail de miroirs, ceux qui ne nous trompent pas. Diversifier les soleils qui brillent nuit et jour sans laisser de lésions sur le corps ni dans la peau de l’âme. Lire, c’est le singulier au pluriel.

Mais lire, avant tout, c’est savoir choisir sa lecture. Savoir élire son partenaire ; le livre est le meilleur partenaire. Offrir un livre est un art, une culture et un risque en même temps. Savoir bâtir le vivre-ensemble chez les autres et avec eux. Le meilleur partage est celui du capital de l’imaginaire.

Choisir un livre pour l’offrir est un savoir-faire livresque très compliqué. Nicher le beau livre pour un enfant, pour un adulte ou pour des parents est une responsabilité. Comment faire régner le plaisir. On n’offre pas un livre pour éduquer mais pour se poser des questions. Pour critiquer, pour s’autocritiquer, pour décongeler ce qui est dans la tête !

Les lectures ne se ressemblent pas, comme les goûts. Lire, c’est un goût individuel. Une envie. Une thérapie. On aime ou on n’aime pas. C’est comme les couleurs. On ne justifie pas l’amour pour une telle couleur ou pour une autre.

Choisir un livre pour l’offrir à quelqu’un est un embarras. Comme le fait de choisir un parfum. Le prix monétaire n’est pas une quittance pour le bon ou le moins bon des livres. Le livre est une autre monnaie.

Le libraire peut nous aider dans notre choix, mais ce dernier n’est jamais notre voix ni notre voie définitive. Le libraire est un guide et non pas le chemin.

Un best-seller n’est pas toujours le bon choix de livre à offrir. Les livres qui font du bruit autour d’eux ne se lisent pas ou peu. Ils nous font parler d’eux. Débattre. Converser. Acheter. Les best-sellers, dont la plupart sont des textes lus par les autres à notre place ! Les best-sellers sont lus communautairement, et cela prend le dessus sur la lecture individuelle et libre.

On ne lit pas à la place d’un autre, on l’accompagne. Les livres religieux, ceux de la propagande idéologique, sont monotones. Ils sont moralisateurs et froids. Sans âme créatrice. Offrir un livre religieux est souvent un acte hypocrite ou naïf. Les livres religieux se lisent comme une punition, une corvée ou une repentance. Offrir un livre religieux est un préjugé sur le lecteur supposé. Les livres à offrir sont offerts pour défendre la liberté individuelle. Pour faire reculer les murs dans les têtes, élargir le champ de la liberté dans l’imaginaire du lecteur.

Attention aux livres à caractère touristique ! Ils sont médiocres.
Ils emmurent le regard et confisquent les pas libres de l’imagination.
Attention aux livres idéologiques, qu’importe l’idéologie ! Ils sont une prison dont les murs sont des slogans ou des illusions.

Il faut offrir des livres qui invitent au banquet des questions, à l’image du Prophète de Gibran Khalil ou de Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. Qui dérangent comme Le Pain nu de Mohamed Choukri, La Répudiation de Rachid Boudjedra ou Festin pour les algues (walima li achab al bahr) de Haïdar Haïdar. Qui déroutent comme À la recherche du temps perdu de Marcel Proust ou Habel de Mohammed Dib.

Qui bouleversent, à l’image du Fils du pauvre de Mouloud Feraoun, Ma mère d’Albert Cohen. Qui sèment le doute, à l’image de L’Étranger d’Albert Camus. Qui donnent un sens à la vie, à l’image du recueil de poèmes Comme des fleurs d’amandier ou plus loin de Mahmoud Darwich ou La Colline oubliée de Mouloud Mammeri. Qui font rire, à l’image du Petit Nicolas de René Goscinny. Qui font pleurer, à l’image du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, Des souris et des hommes de John Steinbeck ou La Vie devant soi de Romain Gary.

Afin de choisir un livre comme cadeau, il faut écouter Kafka qui dit : “On ne devrait lire que des livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon lire ?”

Amin Zaoui