Hommage à Si Mustapha El Fersi ( 1931-2008 )

« La modestie va bien aux grands hommes. C’est de n’être rien et d’être quand même modeste qui est difficile. » Jules Renard

« Je suis un aventurier , je suis un parieur et j’aime la vie ».

Réminiscences

Il me dit , un jour , comme ça :  » As-tu déjà visité la maison de Maïakovski à Moscou ? « 
De saisissement et de honte , je ne fis alors que balbutier une réponse vague. Russophile jusqu’à la moelle , Si Mustapha El Fersi n’aurait sans doute pas admis cette  » négligence  » ou pire cette ignorance. J’ai , en effet , ce rare privilège de partager avec cet homme fin et cultivé la même passion pour la Russie , ses poètes et ses écrivains.
 » Tu as l’âme slave  » , me glissait-il souvent. Comment expliquer cet amour-là ? Si les coups de coeur étaient explicables , si la passion tombait sous la loi de la logique , il n’y aurait plus d’amour possible , quelle que soit sa nature !
J’aime la Russie et tous les pays qui en faisaient le bloc et toutes les immensités infinies. C’est ainsi. J’aime Maïakovski et Si Mustapha El Fersi dont la bibliothèque est une planète de songes.
Aimait-il Maïakovski parce que ce poète préférait au plein air et à la lumière solaire le crépuscule , la nuit et les brumes de l’hiver ? L’aimait-il pour son côté obscur et ambigu , mais aussi subtil et délicat ? Peu importe ! Je me souviens comme si c’était hier de cette après-midi d’avril d’un blanc lumineux et au Centre russe qui célébrait Pouchkine où l’ombre de Maïakovski était passée , Si Mustapha me chuchotant alors le  » J’aime  » de ce poète qui avait su créer une oeuvre aussi palpitante que sa vie privée était déroutante :
« Je connais la maison du coeur chez les autres
Chacun le sait , c’est la poitrine ;
Mais chez moi , l’anatomie est devenue folle :
Il y a du coeur partout , partout il résonne « .
Ces vers me reviennent aujourd’hui que le monde des belles lettres est toujours orphelin de son Grand homme ! C’était hier , 12 ans déjà ! Ces vers résument le cher disparu. . Pour lui et pour Maïakovski qu’il aimait tant , toute mon affection et toute mon affliction. A tout jamais ! Maïakovski , l’âme torturée , débordait d’une soif de vivre en dépit des désillusions et de son profond désespoir ! Cela porte un nom :
L’Humaine condition !
 » Écoutez ,
camarades de l’avenir ,
l’agitateur ,
le menteur à la grande gueule ,
étouffant
des flots de poésie
J’enjamberai
les plaquettes lyriques
Pour parler au vivant
Comme un vivant « .
Et puis , lorsque la liberté sera conquise et qui verra des hommes immenses , ceux de sa stature , il dira juste :
 » Hommes de demain mettez à flots les dictionnaires :
du Léthé
vont se répandre
des mots comme
 » tuberculose « 
 » blocus « 
Pour vous
Vigoureux
et agiles
Le poète léchait
les crachats pulmonaires de la langue râpeuse des affiches « .
Maïakovski avait un double qui le hantait.
 » … Je me levai
Titubant , j’enjambai les notes ,
Les pupitres courbés de terreur ,
et m’écriai :
 » Mon Dieu ! « 
Je me jetai sur le cou de bois :
 » Savez-vous , mon violon ,
Comme nous nous ressemblons !
Moi aussi
Je hurle ,
Sans pouvoir rien prouver !
Les musiciens se tordent de rire :
 » En voilà , une fiancée de bois !
Grosse tête , va ! « 
Mais moi , je m’en fiche
Je suis bon , moi.
 » Vous savez , mon violon ,
Nous allons vivre ensemble !
Vrai ? « 
Le double de Maïakovski … Il s’en débarrassa. Une balle en plein coeur. A Moscou. En 1930. A 37 ans. C’est ainsi que meurent les génies. Paul Eluard écrivit :  » Maïakovski n’est pas mort. Son labeur héroïque contribue à la construction d’un monde nouveau , toujours plus parfait « .
Si Mustapha El Fersi aimait Maïakovski. Parce qu’il était talentueux et chaleureux . Parce qu’il était doté d’une grandeur d’âme et d’une hauteur de vue impressionnantes , seuls sentiments naturels , tout compte fait ! Parce que nul ne sait cultiver l’amitié , accommoder la culture à la modestie comme le faisait Si Mustapha que je quitte sur le trottoir de l’absence et du manque , en priant les dieux qui siègent sur l’Olympe d’exaucer un voeu : visiter la maison de Maïakovski. Pour honorer sa mémoire et tenir ma promesse !

Mounira Aouadi