Frères musulmans: le rapport inédit sur la nébuleuse intégriste en France

Évincés de la Tunisie et de l’Égypte, les Frères musulmans recentrent leur action dévastatrice sur l’Europe et la France. Ils sont la matrice de l’islam politique, une menace majeure pour la cohésion nationale. » Un rapport qui sera publié cette semaine montre la menace grandissante des Frères musulmans et ses ramifications internationales …

Le ministre de l’Intérieur et nouvel homme fort de la droite française s’apprête à dévoiler un document confidentiel sur l’entrisme de la nébuleuse islamiste en France. Une première qui fera date.

Il doit être présenté en Conseil de défense, présidé par Emmanuel Macron, ce mercredi 21 mai. Le rapport sur le « frérisme, les Frères musulmans et leur entrisme » en France est « accablant » et « alarmant », a d’ores et déjà prévenu Bruno Retailleau.

Ce document confidentiel et inédit, commandé par son prédécesseur Gérald Darmanin il y a un an et basé sur les travaux de l’ambassadeur François Gouyette et du préfet Pascal Courtade, détaille l’influence croissante de la nébuleuse islamiste, sa structure, ses méthodes, ses financements, ses objectifs et ses connexions en Europe. Il sera prochainement dévoilé dans une « version allégée » et déclassifiée par le ministre de l’Intérieur qui, élu à la tête des Républicains et plébiscité par l’opinion, entend peser de tout son poids dans ce combat. « On ne peut pas tout dire, confie une source sécuritaire, mais les Français doivent connaître l’ampleur de la menace. Il faut en parler, la montrer dans le débat public. »

Pour la première fois, la mouvance fondée par Hassan el-Banna en 1928 au Caire, et dont les puissants réseaux infiltrent depuis le continent, y est décrite et ses représentants recensés. « Il y a des noms, des personnes identifiées », confirme un cadre de Beauvau, qui évoque une « petite pyramide resserrée »à son sommet et élargie à sa base, opérant à travers une galaxie d’associations cultuelles, culturelles, sportives et caritatives. Plusieurs personnalités fichées S ou inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) sont citées, selon nos informations, mais aucun diplomate n’y figure. « Ces écosystèmes investissent progressivement certains quartiers, c’est une optique clairement conscientisée et assumée », souligne ce responsable.

Évidemment, la sphère religieuse n’est pas épargnée : 130 à 140 mosquées et une vingtaine de fonds de dotation sont « directement affiliés »aux Frères musulmans, et 50 à 60 autres lieux de cultes en sont proches, indique le rapport du ministère de l’Intérieur, qui a renforcé notablement et efficacement sa surveillance ces dernières années. Dans ses radars sont également signalés les lycées Averroès, de Lille, et Al Kindi, près de Lyon, l’institut de formation des imams (IESH), dans la Nièvre, ou l’ancien Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), dissous par le gouvernement et reconstitué depuis en Belgique (CCIE). Enfin, les « influenceurs » sur les réseaux sociaux sont également scrutés de près par les autorités. « La confrérie constitue une menace qui s’étend de manière pernicieuse et subversive, en silence,indique un proche du ministre . Son projet est de faire basculer toute la société dans la charia. »

« Ils se font élire sur des listes de tous bords, LFI plus que les autres »
Pour ce faire, les Frères investissent le champ politique en profitant du clientélisme des élus locaux. Aucun parti communautaire n’a été identifié à ce jour, mais le risque existe et des listes ont déjà été dénombrées « sur les doigts d’une main » lors des dernières municipales, s’inquiète un conseiller : « Ils approchent les équipes, se font élire sur des listes de tous bords, LFI plus que les autres. Des marchandages ont lieu. Vous mobilisez ou garantissez une part de l’électorat et vous finissez sur la liste. Comme peu de gens votent, vous pouvez emporter une ville avec peu de voix. C’est très préoccupant. » Les régions parisienne, lyonnaise, marseillaise et le Nord sont concernés et des exemples consignés dans le rapport. Les préfets devront donc être « vigilants » lors du scrutin de 2026. Des hauts fonctionnaires des collectivités territoriales et de l’État sont même désormais visés. « Bien sûr, des approches peuvent être faites, ajoute ce conseiller. C’est plus discret, c’est de la déstabilisation à long terme. »

Cet entrisme à bas bruit et insidieux est alimenté par des « circuits financiers », y compris depuis « l’étranger » poursuit le rapport, qui pointe ouvertement du doigt des pays comme la Turquie, le Koweït et le Qatar. Au risque de répercussions diplomatiques ? « Oui, forcément, se prépare-t-on Place Beauvau, c’est un désaccord qui fait partie de l’équation des relations internationale. »Idem pour l’Union européenne, dont les institutions subissent le lobbying de relais identifiés de la nébuleuse (Femyso, CEFR, Europe Trust… lire notre article page 24). « Il y aura sans doute des réactions, mais l’Autriche, la Belgique, l’Espagne et l’Allemagne sont sur notre ligne. La bataille n’est pas perdue », rassure ce haut responsable, malgré « la naïveté » qui persiste en Occident. Bruno Retailleau aborde d’ailleurs la menace frériste avec ses homologues européens dès qu’il en a l’occasion, comme lors d’une visite au Royaume Uni récemment.

En attendant la révélation du rapport, ses auteurs ont procédé, ces derniers mois, à son « caviardage » pour en supprimer les éléments les plus sensibles. « La version classée « secret », construite avec des informations fournies par les services de renseignements français et étrangers, a été modifiée pour en protéger les sources et en expurger les noms des personnes, des villes et des structures, précise une source sécuritaire. Rien ne doit compromettre le secret et le travail des services. » Seules les personnes et entités impliquées dans des affaires judiciarisées ou des procédures administratives connues sont citées. Résultat : le rapport, transmis aux ministères des Affaires étrangères et des Armées, à Matignon et à l’Élysée, fait un peu moins de 90 pages, sa version censurée un peu moins de 70. « On a tout laissé dans les limites du possible », résume un relecteur avisé. Volonté du patron.

Car c’est là la nouveauté de ce document sans précédent. « Il n’y a pas de révolution sur le fond, mais le danger est enfin désigné officiellement, insiste un cadre de Beauvau. Avec ce rapport, nous avons des documents, des stratégies, des plans de conquête, pas des fantasmes. Évincés d’Égypte et de Tunisie, les Frères musulmans recentrent leur action en Europe et en France. Ils sont la matrice de l’islam politique, une menace majeure pour la cohésion nationale. » Un temps envisagés, leur interdiction et leur classement comme organisation terroriste ont toutefois été abandonnés. Trop compliqué. « On n’a pas les preuves pour une dissolution », a même reconnu Bruno Retailleau, qui annoncera bientôt un plan d’attaque. Et puis, le Conseil d’État veille. « On ne dissout pas une idéologie » , appuie un conseiller. Déjà en guerre contre le narcotrafic et l’immigration clandestine, l’homme fort de la droite ouvre un nouveau.

Amaury Brelet 21 mai 2025