Après ce petit baiser, la guerre bat son plein déjà

Bien entendu, après ce petit baiser, ce « simple smack » comme on disait au collège, les endeuillés du slip et les conservateurs de tout poil vont monter au créneau pour crier au scandale et exiger de la Haica la sanction d’El Hiwar Ettounsi. Sur Facebook, la guerre bat son plein déjà entre ceux qui se réjouissent de voir un baiser sur une chaîne de télévision tunisienne et ceux qui brandissent le crucifix devant eux, tel une arme contre les Tunisiens « occidentalisés » et « dévergondés », lesquels, soit dit en passant, sont beaucoup moins nombreux que ceux qui désapprouvent ce baiser.

Les conservateurs savent très bien qu’il ne s’agit que d’un simple bécot, ils savent que ce baiser n’a rien d’érotique ou de contraire à la décence. En réalité, ils craignent que ce baiser soit la porte ouverte à la libéralisation des mœurs. C’est pourquoi ils ne comptent pas laisser passer ce baiser sous silence, aussi innocent soit-il. En fait, cette confrontation dénote une chose toute simple : l’affrontement de deux visions antagonistes par rapport à la sexualité des Tunisiens. Il y a, d’abord, la crainte des conservateurs tunisiens de voir leurs compatriotes s’affranchir de la tutelle de la morale religieuse et se frayer un chemin vers une plus grande liberté sexuelle.

En effet, les conservateurs tunisiens redoutent comme la peste la sécularisation de la société et l’émancipation des corps et des plaisirs. Bondieusards et conservateurs de tout poil veulent conserver le monopole du contrôle de l’espace public au nom du respect de la morale et des bonnes mœurs. Pour les conservateurs, le recours à l’appareil de l’Etat pour imposer dans l’espace public et aux médias nationaux une conception moyenâgeuse et inquisitoriale des bonnes mœurs, une conception totalitaire de la morale, ne saurait faire l’objet d’une quelconque négociation.

Dans le camp d’en face, il y a les progressistes qui sont minoritaires et qui, sur le plan des mœurs, essayent de faire évoluer les choses sans trop se mouiller. Intimidés par les arguments d’autorité des conservateurs, ils ne font qu’obéir à leurs diktats depuis des décennies. La poltronnerie de beaucoup d’entre eux a permis aux bondieusards de conserver, durant tout ce temps, le monopole du contrôle de l’espace public au nom du respect de la morale et des bonnes mœurs. Il faut que les progressistes comprennent que la provocation des conservateurs et le choc des consciences participent à la transformation de la société. Mais, hélas, nos progressistes, à quelques exceptions près, se sont le plus souvent montrés lâches et timorés devant les tollés suscités par les affaires liées aux mœurs.

Pour que les mœurs évoluent sous nos cieux, les progressistes doivent faire face à certains tabous et arrêter de noyer le poisson lorsqu’on leur intime de se prononcer sur ce genre de sujets. En effet, la remise en cause de la doxa est un passage obligé si l’on veut sortir du vieux dispositif qui sanctifie la morale religieuse et les bonnes mœurs et qui, de surcroît, s’appuie sur la répression sexuelle. Seul un électrochoc désinhibiteur affaiblira les tabous religieux et sexuels. Non seulement il faut résister aux assauts des conservateurs, à l’intimidation sociale et aux menaces proférées par les extrémistes, mais en plus il faut revendiquer sans la moindre équivoque la liberté sexuelle quand cela s’impose et le droit de se bécoter à la télé et en public ; c’est le seul moyen d’en finir avec la répression moralo-religieuse et les inhibitions qui lui sont liées d’une manière consubstantielle et qui sont à l’origine de tant de frustrations et de névroses en terre d’Islam…

P.-S. : Le couple qui apparaît sur cette vidéo nous montre que les Tunisiens âgés de plus de 50 ans sont moins soumis que leurs cadets à l’influence du bédouinisme proche-oriental.

Pierrot LeFou