Algérie : L’islamologue Saïd Djabelkhir condamné à trois ans de prison pour «offense aux préceptes de l’islam»

Un islamologue algérien de renom, Saïd Djabelkhir, a été condamné à trois ans de prison ferme par un tribunal d’Alger, jeudi 22 avril, pour « offense aux préceptes de l’islam », a indiqué à la presse un de ses avocats, Moumen Chadi, qui s’est dit « choqué » par la sévérité de la peine. « Il n’y a aucune preuve, le dossier est vide. Nous nous attendions à une relaxe », a ajouté Me Chadi, qui a dénoncé un vice de forme.

Attaqué par des particuliers pour «offense aux préceptes de l’islam», l’islamologue algérien Saïd Djabelkhir a été condamné à trois ans de prison ferme. Il a annoncé faire appel, dénonçant des débats qui n’ont rien à faire dans un tribunal.

Ce jeudi 22 avril, l’islamologue algérien Saïd Djabelkhir, a été condamné à trois ans de prison ferme par un tribunal d’Alger pour «offense aux préceptes de l’islam». Ses avocats dénoncent l’ingérence judiciaire dans le débat d’idées.

Lors du procès ouvert le 1er avril, le parquet avait requis «l’application de la loi», soit une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. La loi algérienne punissant de trois à cinq ans d’emprisonnement et/ou d’une amende «quiconque offense le prophète ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen».

« C’est un combat qui doit continuer pour la liberté de conscience, pour la liberté d’opinion et pour la liberté d’expression »

«Ce procès n’aurait jamais dû se tenir. Nous avons axé [la défense] sur l’irrecevabilité de la plainte», avait déclaré à l’AFP une des avocates de Saïd Djabelkhir, Zoubida Assoul. «Il a été condamné à 3 ans ferme», a déclaré un autre de ses avocats, Moumen Chadi, qui s’est déclaré «choqué» par la sévérité de la peine. «Il n’y a aucune preuve. Le dossier est vide. Nous nous attendions à une relaxe», a-t-il affirmé, dénonçant un vice de forme.

Un pourvoi en appel engagé

Interrogé à la sortie du tribunal, Saïd Djabelkhir, chercheur de 53 ans, a déclaré à l’AFP qu’il ferait appel et irait jusqu’en cassation si nécessaire. Il n’a pas été placé sous mandat de dépôt. «C’est un combat qui doit continuer pour la liberté de conscience, pour la liberté d’opinion et pour la liberté d’expression», a-t-il plaidé déplorant au passage la volonté de certains issus des courants wahhabites et salafistes d’imposer «aux musulmans leurs lectures des textes comme étant la vérité absolue».

Il était poursuivi par un collectif d’avocats et un autre universitaire qu’il qualifie de «salafiste» pour «offense aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans». Sur la chaîne Berbère TV, Saïd Djabelkhir a exprimé son étonnement devant une plainte qui a été déposée contre lui «par un enseignant en informatique».

«Il n’est pas du tout du domaine [religieux], ni lui ni les cinq avocats qui se sont constitués avec lui partie civile», rappelle-t-il. Dans leur plainte, ils accusent l’islamologue de «blasphème et d’atteinte au prophète», ce que l’intéressé récuse catégoriquement.

Surpris que le tribunal ait accepté la plainte, Saïd Djabelkhir explique : «Ils se basent sur quatre publications que j’avais faites en janvier 2020. Dans leur plainte, il n’y a pas seulement le contenu de ce que j’ai écrit mais également leur interprétation. Moi, je suis responsable de ce que j’écris mais pas de l’interprétation qu’en font les autres.» «L’autre problème est que les juges ne sont pas compétents pour trancher en matière de religion», insiste-t-il.

« On se sent au XIIe siècle »

Dans une déclaration à la sortie du tribunal, Aouicha Bekhti, l’une de ses avocates a déclaré se sentir au «XIIe siècle». «On est en train de débattre des idées dans un tribunal, or les idées se débattent en dehors du tribunal, dans les amphithéâtres. Un juge n’a pas la compétence pour juger d’idées», plaide-t-elle tout en précisant que dans les propos tenus par son client, «il n’y a aucune offense à l’islam ni au prophète».

Une explication sur le nouvel An berbère à l’origine du procès ?

Saïd Djabelkhir explique être attaqué pour avoir répondu au fait qu’un autre islamologue algérien s’oppose chaque année à la fête berbère de Yenayer (nouvel An célébré depuis l’antiquité en Afrique du nord). L’islamologue, dans ces publications, avait alors répondu que «d’un point de vue historique – j’insiste sur ce mot – si on considère Yenayer comme une fête païenne, alors même dans l’islam on a des traditions qui sont païennes, comme le pèlerinage». Le pèlerinage, le sacrifice du mouton et un certain nombre de traditions et rites islamiques précédaient en effet l’avènement de l’islam avant de devenir finalement partie intégrante de sa pratique.

Depuis le début de l’affaire, Saïd Djabelkhir a recueilli le soutien de nombreux collègues et personnalités politiques algériennes.

De nombreux intellectuels et internautes algériens ont ainsi exprimé leur indignation devant cette condamnation. Parmi eux, Salah Dabouz, avocat et président de l’Observatoire des droits et libertés pour l’Afrique du Nord, pour qui «la condamnation de Saïd Djabelkhir prouve que la plupart des juges algériens ont une orientation idéologique islamique et appliquent les dispositions de la charia [loi islamique], en essayant de la justifier par des articles du Code pénal».

Dans un communiqué, la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH) relève que la liberté de conscience a disparu du texte de la nouvelle Constitution algérienne, adoptée en novembre à l’issue d’un référendum très massivement boycotté par la population.