Adieu Jean Fontaine (1936-2021)

« Je suis triste, je viens de perdre un grand ami, Jean Fontaine. Je suis ému, je ne peux énumérer ses qualités humaines, culturelles, relationnelles. Son amour pour l’autre et surtout pour la Tunisie. Tu resteras gravé dans la mémoire des étudiants, des professeurs des chercheurs que tu as aidé. Paix à ton âme ». C’est par ces mots écrits sur sa page facebook, que si Farhat Barouni, a annoncé le décès de son ami Jean Fontaine.

Enseignant à la retraite et administrateur de la Revue IBLA, Si Farhat, a résumé avec émotion et fidélité, une attitude bien partagée par tous ceux qui ont connu le père Jean Fontaine qui vient de nous quitter à l’âge de 86 ans. Un monument de notre historie culturelle qui s’éteint après tans d’apports humains, soutiens et contributions à la culture tunisienne. Faut-il rappeler que Jean Fontaine est en Tunisie depuis 1956, l’année de son accession à l’indépendance. Dans une vie qui s’est prolongée durant 86 ans, il aura passé 65 ans en Tunisie, son pays d’adoption. A notre regret, faut-il signaler , avec beaucoup de regret, que les autorités officielles, n’ont jugé utile de l’honorer en lui proposant la « nationalité » de son pays d’adoption. Quoi qu’il en soit, les traces de Jean Fontaine, feront partie du patrimoine tunisien pluriel. Membre de la congrégation des pères blancs, présente en Tunisie depuis 1875, Jean Fontaine était arrivé à l’âge de 20 ans avec un baccalauréat en mathématiques, cependant, il avait choisi de continuer une formation outre le domaine de théologie, celui de la langue et la littérature arabe en Tunisie, Algérie et Rome. Après avoir obtenu en 1968 une licence d’arabe de l’Université de Tunis, il entame un parcours de recherche l’amenant à préparer une thèse de doctorat sur la littérature tunisienne qu’il soutiendra en 1977 à l’Université d’Aix en Provence. Au niveau de sa carrière professionnelle, elle est composée de deux étapes : la première de 1968 à 1977 lorsqu’il était conservateur de la bibliothèque de l’Institut des Belles Lettres Arabes (I.B.L.A). une des bibliothèques la plus riche de la capitale, à la page des nouvelles publications tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Egalement, elle était devenue un lieu de rencontres où les pauses deviennent l’occasion pour échanger avec Jean Fontaine et ses nombreux assistants ayant servi les lieux. Souvent, on ne se limite pas à vous fournir le livre commandé, mais on vient vous proposer d’autres références sur le thème recherché, grâce à un fichier des matières constamment mis à jour.

La seconde tache, un peu plus longue de 1977 à 1999, qui avait marqué le parcours de jean Fontaine, c’est sa a direction de la Revue IBLA, assumant sa transformation en une revue de référence de plus en plus ouverte aux travaux des chercheurs de l’Université tunisienne notamment dans les domaines de la théologie, la littérature et l’histoire. Son apport personnel se situe au niveau de ses publications relatives à la recension critique et analytique de la production littéraire tunisienne depuis l’indépendance. Un homme de religion doublé d’un homme de lettres, il a accompagné plusieurs d’étudiants, nombreux d’entre-eux, allaient devenir des enseignants-chercheurs des universités tunisiennes, et, avec lesquels il garda des liens d’amitié et de collaboration.

Même, si officiellement, à partir de l’année 2000, Jean Fontaine est à la retraite, n’assumant plus de responsabilité, allant jusqu’à choisir de résider hors de Tunis, cependant, en réalité, il s’est attelé à faire la passation tant au niveau des postes de direction de la revue, de l’administration, la coordination éditoriale, désormais assurée par des tunisiens ainsi que pour la majorité des membres du comité de rédaction qui sont des universitaires tunisiens. La retraite de Jean Fontaine, fut également perturbée par un grave événement survenu le 5 janvier 2010. Ce jour là, un terrible incendie avait fait partir en fumée 17.000 ouvrages, beaucoup étaient des livres de références et rares. Il a été au cœur de la campagne de solidarité et de collecte de livres pour remplacer ceux qui furent perdus.

Son décès est une perte pour la communauté des pères blancs, il a été fortement ressenti par l’ensemble de la grande famille des chercheurs. Je l’avais rencontré une dernière fois le 22 septembre 2020 au musée du leader Bourguiba tout proche de la bibliothèque IBLA , c’était à l’occasion de parution de livre : « Solidaire Aller-Retour », nous nous étions donnés rendez vous à l’occasion de la soutenance de la thèse de mon étudiante Samia Nabli dont il attendait l’aboutissement, et comment, puisqu’elle avait choisi de travailler sur l’histoire des pères de blancs en Tunisie (1875-1964). La thèse est arrivée à bon port, elle sera bientôt soutenue, mais sans la présence de Jean Fontaine. En plus du devoir d’histoire, ce jour là, un devoir de mémoire sera rendu, à Jean Fontaine. Paix à son âme.

Habib Kazdaghli , professeur d’Histoire contemporaine
Directeur du Laboratoire du Patrimoine, Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba