Le blocus imposé par Israël à Gaza est devenu « un outil d’extermination »

Dans un contexte de famine croissante, les États parties à la Convention sur le génocide risquent d’être tenus responsables de leur inaction

Le projet du gouvernement israélien de démolir ce qui reste des infrastructures civiles de Gaza et de concentrer la population palestinienne dans une zone minuscule équivaudrait à une escalade odieuse des crimes contre l’humanité, du nettoyage ethnique et des actes de génocide qui se poursuivent, a déclaré Human Rights Watch jeudi 25 mai 2025.

Les autorités israéliennes, qui bloquent l’entrée de l’aide, de la nourriture, du carburant et des fournitures médicales à Gaza depuis 75 jours, auraient décidé d’un plan qui inclurait la « demolition » de bâtiments et le déplacement de l’ensemble de la population de Gaza vers une seule « zone humanitaire », si aucun accord avec le Hamas n’est conclu d’ici la mi-mai. La situation humanitaire désastreuse résultant du blocus illégal et des projets visant à intensifier les déplacements forcés et les destructions généralisées exige une réponse plus ferme de la part des autres gouvernements et institutions, en particulier des États-Unis, de la France, de l’Allemagne, de l’ Union européenne et du Royaume-Uni. Human Rights Watch a appelé tous les États parties à la Convention sur le génocide à faire davantage pour empêcher de nouvelles atrocités, notamment mettre fin aux ventes d’armes, à l’assistance militaire et au soutien diplomatique à Israël, imposer des sanctions ciblées aux responsables israéliens et réexaminer et envisager de suspendre les accords bilatéraux.

« Entendre les responsables israéliens vanter leurs plans visant à entasser les 2 millions d’habitants de Gaza dans une zone encore plus petite tout en rendant le reste du territoire inhabitable devrait être traité comme une urgente alarme incendie à Londres, Bruxelles, Paris et Washington », a déclaré Federico Borello, directeur exécutif par intérim de Human Rights Watch. « Le blocus imposé par Israël a dépassé les tactiques militaires pour devenir un outil d’extermination. »

Les Nations Unies ont averti que la bande de Gaza est confrontée à sa pire crise humanitaire depuis le début des hostilités. Le 12 mai, les experts du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Phase Classification, IPC) – principal organisme de surveillance de l’insécurité alimentaire dans le monde –ont averti qu’il existe un « risque élevé » = de famine à Gaza dans les prochaines semaines, une personne sur cinq étant particulièrement susceptible d’y être confrontée. L’Organisation mondiale de la santé a déclaré le 11 mai que Gaza connaissait « l’une des pires crises alimentaires au monde, qui se déroule en temps réel », citant un rapport du ministère de la Santé de Gaza selon lequel au moins 57 enfants sont morts de malnutrition à Gaza depuis le début du blocus. Le 16 avril, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, [a répété à la mi-avril ] avait réaffirmé que « la politique d’Israël est claire : aucune aide humanitaire n’entrera à Gaza ». Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, avait alors déclaré : « Tant que nos otages meurent dans des tunnels, il n’y a absolument aucune raison d’autoriser ne serait-ce qu’un gramme de nourriture ou d’aide. »

Selon le gouvernement israélien, 58 otages israéliens se trouveraient encore à Gaza, dont 23 sont considérés comme encore en vie. Les groupes armés palestiniens devraient libérer immédiatement et en toute sécurité tous les civils qu’ils détiennent, tout comme les autorités israéliennes devraient libérer immédiatement et en toute sécurité tous les Palestiniens détenus illégalement.

Début mai, le cabinet de sécurité du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a approuvé un plan surnommé « Les Chariots de Gédéon » qui selon lui pourrait démarrer dès la fin de la visite du président américain Donald Trump dans la région, le 16 mai. Le plan implique le déplacement forcé d’une grande partie de la population palestinienne de Gaza tout en s’emparant et en occupant le territoire. « Il n’y aura pas de va-et-vient », a annoncé Netanyahou le 5 mai. Israël « va enfin conquérir la bande de Gaza », a déclaré le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, également ministre de la Défense et membre du cabinet de sécurité. Smotrich, qui a déclaré que Gaza serait « complètement détruite » et que sa population palestinienne « partirait en masse vers des pays tiers », suggère également que ces plans ne devraient pas être modifiés, même si les otages sont libérés.

Associés à la destruction systématique d’habitations, d’immeubles résidentiels, de vergers et de champs, d’écoles, d’hôpitaux et d’installations d’eau et d’assainissement, ainsi qu’au recours à la famine comme arme de guerre — actes constitutifs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, notamment l’extermination, et d’actes de génocide — ces plans déclenchent le « devoir de prévention » prévu par la Convention sur le génocide. Pour les 153 États parties à cette convention, le devoir de prévenir le génocide naît dès qu’un État a connaissance, ou aurait normalement dû avoir connaissance, d’un risque grave de génocide. Il n’est pas nécessaire de déterminer définitivement qu’un génocide est déjà en cours, comme l’a indiqué Human Rights Watch dans une intervention d’avril 2025 dans une affaire en cours d’instruction devant les tribunaux britanniques contestant la décision du gouvernement britannique de continuer à autoriser l’utilisation d’équipements militaires par les forces israéliennes à Gaza.

Israël et les États-Unis ont proposé un nouveau plan visant à faire appel à des entrepreneurs militaires privés pour fournir une aide uniquement à certaines parties de Gaza. Dans une déclaration commune du 4 mai, l’ONU et les groupes humanitaires opérant à Gaza ont toutefois averti que ce plan n’atteindrait pas les plus vulnérables, « semble conçu pour renforcer le contrôle des biens essentiels à la vie comme tactique de pression » et « va renforcer davantage les déplacements forcés ». L’IPC a déclaré que le plan est « largement insuffisant pour répondre aux besoins essentiels de la population ».

La quasi-totalité de la population de Gaza a déjà été déplacée, tandis que les autorités israéliennes ont mené une politique de déplacement forcé, rendant la bande de Gaza largement inhabitable. Les responsables israéliens ont confirmé qu’à l’avenir, les zones « nettoyées » par leur armée suivraient le « modèle de Rafah », un euphémisme pour désigner la destruction des infrastructures civiles.

La Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide oblige les États parties à « employer tous les moyens raisonnablement à leur disposition pour prévenir le génocide autant que possible ». Les États parties à cette Convention, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, risquent d’être tenus responsables de leur inaction pour prévenir le génocide à Gaza, selon Human Rights Watch. En 2007, la Cour internationale de Justice (CIJ) a jugé que cette obligation s’applique de manière extraterritoriale « à un Etat, où que celui-ci [agisse] ou [soit] en mesure d’agir pour s’acquitter des obligations en question ». Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, qui entretiennent des liens étroits avec le gouvernement israélien ou exercent une influence sur lui, ont une responsabilité accrue d’agir.

Les agences humanitaires disposent de 171 000 tonnes de nourriture pré-positionnées dans la région, ce qui suffirait à nourrir deux millions de personnes à Gaza pendant trois à quatre mois. Cependant, elles ne sont pas autorisées à y entrer depuis le 2 mars 2025. Les boulangeries, les cuisines collectives et les organisations humanitaires, dont le Programme alimentaire mondial et World Central Kitchen, ont été contraintes de suspendre leurs activités, leurs stocks étant épuisés. Les habitants passent désormais des heures à attendre pour quelques litres d’eau ou de la farine avariée. Selon l’Association internationale de l’eau, 90 % des ménages étaient confrontés à une pénurie d’eau durant la première quinzaine d’avril, souvent contraints de choisir entre se doucher, faire le ménage et cuisiner. Ce pourcentage a probablement augmenté, car le carburant nécessaire au fonctionnement des usines de dessalement et des pompes à eau pour les puits n’est plus entré à Gaza depuis le 2 mars.

Les autorités israéliennes ont rendu impossible l’acheminement efficace de l’aide. Le recours croissant aux ordres d’évacuation a également piégé des civils dans des enclaves, sans nourriture ni eau. Selon une enquête de Relief Web, 95 % des organisations humanitaires opérant à Gaza ont dû suspendre ou réduire considérablement leurs services depuis l’escalade des hostilités le 18 mars, en raison des bombardements israéliens massifs ou des lourdes restrictions imposées par Israël.

En 2024, dans le cadre de l’affaire de génocide portée par l’Afrique du Sud contre Israël, la CIJ a émis trois ordonnances (en janvier, en mars et en mai) enjoignant Israël de prendre des « mesures conservatoires » (des mesures provisoires contraignantes) afin d’empêcher le risque de genocide. Les autorités israéliennes ont toutefois ignoré ces trois ordonnances.

La poursuite des ventes d’armes, de l’assistance militaire et du soutien diplomatique au gouvernement israélien, malgré des preuves accablantes d’atrocités criminelles, expose également les gouvernements et les autorités à un risque de complicité. Les gouvernements devraient immédiatement mettre un terme aux transferts d’armes. Ils devraient également soutenir les efforts internationaux de responsabilisation, notamment en exécutant les mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale, a déclaré Human Rights Watch.

Les gouvernements devraient également revoir immédiatement les accords bilatéraux avec Israël, notamment l’accord d’association UE-Israël, qui identifie le « respect des droits humains et des principes démocratiques » comme un « élément essentiel » de l’accord. La Belgique, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Irlande, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovénie et la Suède soutiennent une telle révision.

L’accord de partenariat commercial entre le Royaume-Uni et Israël ainsi que la feuille de route 2030 du Royaume-Uni pour les relations bilatérales entre le Royaume-Uni et Israël devraient être révisés, notamment en supprimant les dispositions qui protègent ou tentent de protéger Israël de toute responsabilité, a déclaré Human Rights Watch.

« Les États parties à la Convention sur le génocide se sont engagés non seulement à punir le génocide, mais également à l’empêcher de se produire », a conclu Federico Borello. « Ne pas agir pour empêcher les autorités israéliennes d’affamer les civils à Gaza et de rendre la zone encore plus invivable va à l’encontre de l’objectif même de la Convention. »

Sourcee : Human Rights Watch.