Que fait ce Mziou qu’on appelle encore “bâtonnier” ?

Il y a des moments où l’on se demande s’il reste encore un seul bout de loi dans ce pays. S’il reste un seul garde-fou, un seul principe, une seule limite que ce pouvoir n’a pas encore piétinée. Ce qui s’est passé mercredi à la prison des femmes de la Manouba n’est pas un détail, ni un écart de conduite. C’est une nouvelle preuve, implacable, que plus rien ne les arrête. Qu’ils n’ont plus peur de rien. Pas même de la loi.

Mercredi, un des avocat de Sonia est allé la voir. Comme d’habitude une caméra dans le parloir, et une gardienne collée à eux pour les surveiller. Aucune confidentialité. Aucun respect. Et surtout, aucune honte.. cette scène, qui devrait être protégée, confidentielle, inviolable, se déroule sous surveillance. Comme s’ils craignaient qu’un mot, un regard, un document ne leur échappe.

Quand l’avocat a commencé à lui montrer des documents, la gardienne s’est approchée et lui a ordonné de les lui montrer. Il lui a répondu que cela ne regardait qu’eux deux. Elle a insisté. Elle a évoqué les fameuses “instructions qu’on ne discute pas.” Mais Sonia et lui ont dit non. Ils ont opposé la loi. Le droit. Le respect du secret professionnel. Ils ont refusé de céder.

Du coup ils ont fait sortir l’avocat et ont convoqué Sonia. Seule. Devant l’administration pénitentiaire, symbole parfait d’un pouvoir qui ne supporte ni l’intelligence, ni la résistance, ni la loi.

Ils l’ont interrogée. Ils ont tenté de la briser. Ils lui ont demandé ce que son avocat lui avait montré, ce qu’il lui avait dit, ce qu’il y avait dans les documents. Sonia a tenu bon. Elle leur a dit non. Elle leur a rappelé qu’elle était avocate. Qu’ils n’avaient pas le droit. Qu’ils ne l’intimideraient pas comme ils le font avec les femmes qui ne connaissent pas leurs droits. Alors, humiliés de ne pas avoir obtenu ce qu’ils voulaient, ils lui ont dressé un procès-verbal. Pourquoi ? Pour avoir dit non. Pour leur avoir demandé de respecter la loi. Pour ne pas avoir baissé les yeux.

Mais ce qu’ils ignorent peut-être, c’est qu’on ne sort pas Sonia Dahmani de son axe. Pas avec des caméras. Pas avec des procès-verbaux vides. Pas avec des jeux d’intimidation aussi grossiers.

Jusqu’où vont-ils aller ? Jusqu’à quand va-t-on laisser faire ? Est-ce qu’il existe encore quelqu’un, quelque part en Tunisie, pour qui la loi veut encore dire quelque chose ? Est-ce qu’il reste encore un juge, un procureur, un responsable pour qui ces mots ont un poids ?

Selon la loi, ce qu’ils ont fait est un crime. Ni plus, ni moins.

Le secret professionnel n’est pas un luxe. Ce n’est pas une faveur accordée par l’administration. C’est un droit fondamental. Protégé par la loi. Le Décret loi 79/2011 relatif à l’organisation de la profession d’avocat et la Loi n°52 de 2001 relative au système pénitentiaire interdisent formellement à quiconque — directrice de prison, ministre ou président— de s’immiscer dans la relation entre un avocat et sa cliente. L’article 254 du Code pénal punit ceux qui tentent de le faire. Même — et surtout — quand cette tentative vient de l’administration pénitentiaire. Je parle bien de la directrice de la prison Malek Dalaï, de la ministre de l’Injustice, qui s’agite dans l’ombre, distribue les consignes et fait de la justice un outil de vengeance et de tous ceux et celles qui participent à cette entreprise d’humiliation.

Ce n’est pas une bavure. Ce n’est pas une erreur. C’est un acte de harcèlement. Une tentative de pression. Une humiliation gratuite. Et c’est surtout une manière de dire : ici, c’est nous qui décidons. Pas la loi. Pas le droit. Pas vous.

Je ne me tairai pas. Je ne me contenterai pas de dénoncer. Je demande des comptes. Et si certains magistrats ont perdu leur courage, il en reste d’autres — en Tunisie ou ailleurs — qui sauront rappeler ce qu’est la justice. Je conserve mon droit de porter plainte. Aujourd’hui ou dans dix ans. Ici ou devant les juridictions internationales qui, elles, ne fonctionnent pas à la consigne. Que chacun médite cela, calmement.

J’appelle le procureur de la République, si prompt à poursuivre ceux qui écrivent, qui dénoncent, qui osent parler, qui d’habitude réagi au quart de tour pour une story Instagram, à se saisir de ce dossier, pour une violation de la loi dans une prison. Pas une publication. Je réclame des réponses. Des enquêtes. Des poursuites. Le droit, finit toujours par se retourner contre ceux qui l’écrasent.

Et pendant ce temps, Sonia ne reçoit toujours pas de lettres. Ni les nôtres, ni les vôtres, ni celles de ses amis. les preuves. Les copies. Les suivis. Les photos des lettres envoyées sont la. Elle n’a jamais rien reçu à part quelques malheureuses cartes postales de bonne année qu’elle a fini par recevoir en avril. Les mots leur font peur. Même une phrase pour dire “on est là” leur fait horreur. Parce qu’ils veulent Sonia seule. Coupée du monde. Oubliée.

Et pendant que ces gens-là trahissent leur fonction, que font les autres ? Que fait celui qu’on appelle encore “bâtonnier” ? Mziou, si prompt à défendre le pouvoir, si discret quand il s’agit de défendre sa profession. il serait bon qu’il se souvienne de sa mission. Il oublie, sans doute, que son rôle n’est pas d’applaudir le pouvoir pour se protéger, mais de protéger la profession d’avocat et ses confrères. Il oublie peut être, mais pas nous, ni l’histoire qui ne retiendra pas son nom.

À défaut de pouvoir compter sur lui, j’en appelle aux instances représentatives, aux organisations professionnelles et aux défenseurs des droits. Avant que la notion d’État de droit ne devienne un pur décor. Plus qu’elle ne l’est déjà.

Le secret professionnel n’est ni une faveur faite à l’avocat, ni une tolérance accordée par l’administration. C’est un droit fondamental pour tous, garanti par la loi. Et ceux qui tentent de l’écraser sont les premiers à piétiner la justice et la transformer en farce.

Ceux qui nous accusent de terrorisme, de trahison, d’être à la solde de je ne sais qui, sont les premiers à fouler aux pieds leurs propres lois. Ce sont eux les saboteurs du pays. Ceux qui l’ont transformé en terrain privé, gardé par les plus obéissants.

Mais continuez, allez-y. Faites ce que vous voulez. Nous, on est debout. Et Sonia aussi. Debout, forte, digne.

Et nous sommes là. Pour elle. Avec elle. Et tant qu’il restera une injustice à dénoncer, une vérité à dire, une porte à enfoncer, nous parlerons.

Vous ne la ferez pas taire.
Vous ne nous ferez pas taire.
Ni aujourd’hui, ni demain. Jamais

Ramla Dahmani Accent