Le Club de Paris devient une issue !!!

Si vous voulez comprendre l’impasse financière dans laquelle se trouve aujourd’hui la Tunisie je vous invite à lire le texte suivant. Si vous n’avez pas le temps voici un résumé de l’article détaillé ci-après.

Résumé: la crise des finances publiques en Tunisie s’est transformée en véritable impasse financière suite au rejet de la requête de la Tunisie par le FMI et la dégradation de la Tunisie, de la BCT et de quatre banques tunisiennes par Moody’s. La seule option qui reste semble être le re-profilage de la dette extérieure. Ceci veut dire le passage devant le club de Paris. Et ce passage doit être préparé soigneusement afin de minimiser l’impact négatif du rééchelonnement de la dette sur la Tunisie et les Tunisiens.

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Il est vrai que cela sonne un peu bizarre, mais le passage par le club de Paris pourrait être la seule issue pour la Tunisie actuellement.

Le club de Paris

En termes simples le club de Paris est une réunion qui se tient à Paris et qui est présidée par le Directeur Général du Trésor français. Ce club réunit les créanciers souverains d’un pays qui se trouve déjà en défaut, ou qui risque de se trouver en défaut, par rapport au paiement de sa dette extérieure. Il s’agit donc d’une réunion des pays créanciers d’un pays donné et qui vise à trouver une solution pour que le pays en question retrouve le chemin du remboursement normal de sa dette extérieure. La solution se trouve souvent dans le rééchelonnement de la dette bilatérale du pays en difficultés. Ce processus implique des négociations difficiles qui touchent à la souveraineté du pays endetté et qui se termine souvent par un programme de réformes pénibles imposées au pays concerné, programme qui peut parfois provoquer une situation sociale difficile. C’est bien pour cela qu’il faut bien se préparer pour affronter un tel processus. Le club de Paris est toujours suivi par un deuxième club, celui de Londres. Le club de Londres concerne les créanciers privés: institutions financières et autres créanciers privés.

Pourquoi le club de Paris devient-il maintenant une issue pour la Tunisie ?

L’agence de notation Moody’s vient de réviser à la baisse le notation souveraine de la République tunisienne (RT) et celle de la Banque Centrale de Tunisie (BCT). La RT (ainsi que la BCT) est désormais notée Caa2 avec une perspective négative.

Caa2:

Cette notation veut dire que la Tunisie (ainsi que la BCT) est classée « pays à risque très élevé ». L’échelle de notation de Moody’s comporte vingt échelons. La Tunisie était classée au 8ème échelon en 2010 (Investment grade) et elle est passée au 18ème échelon actuellement, soit dix révisions consécutives à la baisse de la notation souveraine de la Tunisie.

Perspective négative:

La perspective négative veut dire qu’en l’absence de réformes significatives en un temps relativement court la prochaine révision de la note souveraine serait de nouveau vers la baisse. Le dix-neuvième échelon, Caa3, serait celui de la faillite annoncée.

Impasse financière:

Il est clair que la crise des finances publiques en Tunisie s’est déjà transformée en impasse financière. En effet avec une notation Caa1 la Tunisie n’avait aucun moyen d’accéder au marché financier International, mais elle pouvait encore espérer sous certaines conditions parvenir à un accord définitif avec le FMI. Un tel accord aurait pu ouvrir la voie vers la mobilisation de nouveaux crédits au niveau bilatéral (pays « frères » ou « amis ») et au niveau multilatéral (institutions financières). Avec la notation Caa2 les chances de la Tunisie de mobiliser de nouveaux crédits se réduisent de manière significative et les chances de parvenir à un accord avec le FMI se réduisent aussi sensiblement.

Cette révision à la baisse de la notation souveraine de la RT (ainsi que celle de la BCT) a entrainé dans son sillage une révision à la baisse de la notation de 4 banques tunisiennes qui sont la BIAT, la STB, Amen Bank et la Banque de Tunisie.

Pourquoi ces quatre banques? Il s’agit là des banques qui ont le plus prêté en Dinars et en devises à l’Etat. Elles ont prêté à l’État des montants qui dépassent les normes et qui menacent désormais leurs équilibres fondamentaux. Le risque de défaut de l’État implique de graves difficultés pour ces banques. Il est clair donc que ces banques, ainsi que toutes les autres banques en Tunisie, ne peuvent plus prêter à l’État, ni en Dinars ni en devises. Il faut noter à ce propos qu’en 2022 l’État n’a honoré aucune échéance de la dette intérieure, en Dinars et en devises. Tout a été ré-échelonné, parfois jusqu’en 2033 !!!

L’État tunisien se trouve donc bien dans une impasse financière. Il ne peut plus emprunter ni à l’étranger ni en Tunisie. Même le recours (excessif) à la planche à billets ne peut plus fonctionner. Il faut qu’il s’arrête purement et simplement si l’on veut éviter un dérapage plus grave de la situation financière du pays.

Le denier communiqué du Conseil d’administration de la BCT:

Le communiqué relatif à la dernière réunion du CA de la BCT comporte des contrevérités préoccupantes. En effet par ce communiqué (et d’autres qui l’ont précédé d’ailleurs) la BCT essaye de se dérober de ses responsabilités et de rejeter la responsabilité entière sur le Gouvernement. En effet la BCT reçoit des rapports quotidiens, hebdomadaires, décadaires, mensuels, trimestriels, semestriels et annuels de la part de toutes les banques. Les crédits en Dinars accordés par les banques à l’État sont re-financés par la BCT (planche à billets). Les crédits accordés en devises sont préalablement autorisés (et applaudis) par la BCT. La responsabilité de la BCT dans cette impasse financière est pleine et entière. Il faut rappeler en outre que la loi de 2016 confère à la BCT le rôle de conseiller financier de l’État !!! Le CA de la BCT devrait s’abstenir de publier à l’avenir de tels communiqués. La BCT devrait se concentrer plutôt sur la recherche de solutions. Comment sortir l’État tunisien de cette impasse financière.

Le passage devant le club de Paris:

Le seul moyen pour desserrer la vis et éviter l’étouffement des finances publiques semble être aujourd’hui le rééchelonnement de notre dette extérieure et ceci ne peut se faire que par le passage devant le club de Paris suivi du club de Londres.

J’avais toujours soutenu l’idée qu’il fallait éviter à tout prix le passage devant le club de Paris. Mais je pense qu’il nous reste aujourd’hui peu d’options. Nous avons en effet pris un retard énorme en matière de réformes économiques. Il est prouvé aujourd’hui que les mesures financières et monétaires sont insuffisantes. Les agences de notation, le FMI, la Banque Mondiale, les grandes banques partenaires de la Tunisie n’ont pas cessé de publier des rapports depuis au moins deux années posant clairement la question suivante: qu’attend la Tunisie pour entreprendre les réformes économiques nécessaires, pourquoi la Tunisie lie-t-elle ces réformes aussi indispensables qu’inévitables aux discussions techniques et aux négociations avec le FMI.

Il est clair que tant que la Tunisie ne s’engage pas dans une vraie stratégie de sauvetage de son économie il sera très difficile de sauver les finances publiques, les entreprises publiques et l’expérience démocratique dans sa totalité.

Si nous sommes convaincus que le passage devant le club de Paris est la seule option qui nous reste il faudrait le préparer soigneusement dès maintenant, et surtout éviter de le faire à la dernière minute. Même pendant les moments difficiles, et surtout pendant les moments difficiles, il faut savoir raison garder. Une négociation avec le club de Paris, il faut savoir la réussir afin d’en alléger les conséquences sur la Tunisie et sur les Tunisiens. Il faudrait préparer soigneusement les objectifs, la stratégie de négociation, la feuille de route et surtout l’équipe de négociateurs.

N.B. N’oublions pas la visite de Monsieur Emmanuel Moulin à Tunis le 26 janvier dernier. Monsieur Moulin est le Directeur Général du Trésor français et président du club de Paris. Il a été reçu par Madame la Cheffe du gouvernement en l’absence de la Ministre des Finances, du Ministre de l’économie et du Gouverneur de la BCT, soit le trio qui a négocié avec le FMI.

Ezzeddine Saidane

Photo haut de page : Emmanuel Moulin avec Najla Bouden , Cheffe du gouvernement