Les américains le pensaient certainement, mais ne l’avaient pas encore accusé de violation de la constitution, de coup d’Etat, sinon ils ne seraient pas venus à Tunis. Il l’a fait à leur place, en introduction à une plaidoirie dans laquelle le sens de la souveraineté, s’il l’avait vraiment, ne lui aurait dicté de se lancer, comme il l’a fait, que si des observations le laissant supposer eussent été préalablement faites à son intention par le chef de la délégation visiteuse. Or, par inversion des rôles, tout s’est passé comme si cette dernière avait été invitée ou, plus inopportunément encore, convoquée à Carthage pour l’entendre, à son initiative. On se fera l’idée que l’on voudra des deux arguments avancés, l’un tiré de sa carrière d’enseignant de droit constitutionnel insoupçonnable d’infraction à la loi ou d’erreur dans son interprétation, l’autre de la liesse populaire par laquelle ses décisions du 25 juillet ont été accueillies, mais celle qui comptera en l’occurrence se fera au Capitole et elle ne lui sera pas favorable. Un dictateur en herbe est reconnaissable à ce genre de justifications. Agressif aussi, il l’a été à la limite d’une prise à partie directe de ses hôtes, par l’allusion que l’on devine à un fameux contrat de lobbying, en fustigeant, à juste raison cette fois, des tunisiens qui, contre de l’argent, recrutent ses détracteurs à l’étranger, aux Etats Unis s’entend.
Je n’exclus pas non plus qu’un ricochet manifestement préparé de fraiche date sur la constitution du Connecticut dont le chef de délégation, Mr. Murphy est le sénateur, n’ait laissé auprès de ce dernier l’impression d’avoir été outrageusement pris de haut comme pour lui signifier qu’en cette qualité il était sensé savoir, c’est-à-dire inexcusable d’ignorer un principe énoncé en préambule de ladite constitution, dont il a redonné lecture mais qui, indiquant son origine dans le droit naturel, était hors de propos en l’affaire traitée. De la même veine, dire que l’on a enseigné la jurisprudence de la Cour Suprême n’apportait rien à la compréhension du gel de la fonction législative principale en Tunisie sans l’indispensable référence à un précédent américain comparable. Une pédanterie que je croyais disparue avec le sous-développement. Comme mes anciens camarades à la Faculté de Droit, dont quelques uns sont sortis agrégés pour l’enseigner à leur tour, l’étude de la constitution des USA nous ayant pris plusieurs mois, sous le haut magistère de Monsieur De Lanversin, je ne me souviens d’aucune allusion à la constitution du Connecticut. Pourquoi pas celle du Nebraska ou de l’Idaho alors ?
Tout cela est discordant et chacun y joue sa partition comme il l’entend. Ce qu’il en sortira est incertain. En ce qui nous concerne, je dois dire qu’à l’issue de cette rencontre, quoique pouvant être mieux défendue, notre fierté nationale est sauve et c’est ce qui importe le plus dans le rapport bilatéral entre Etats.
Abdessalem Larif
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