Jule Ferry, l’ordure de la république française

Il trône dans les manuels scolaires, il donne son nom aux lycées et aux avenues, il est partout, il occupe les moindres recoins du territoire national, le Jules.

Il faut dire que c’est un héros de la République. Du moins selon nos historiens officiels, comme ce Jean-Pierre Rioux qui résume pour « La Croix » le pedigree de Ferry : « Avocat nourri au lait de 1789, qui vomit 1793 mais admire les institutions anglaises et américaines, opposant à Napoléon III, membre avec Gambetta du gouvernement de défense nationale en 1870, élu de Saint-Dié dès 1871 et très soucieux de promouvoir une humanité «sans dieu, ni roi», Ferry (1832-1893) a été la grande figure de la IIIe République naissante. Il a redonné force et allant à une France humiliée à Sedan, rescapée de la Commune et plus que jamais divisée ».

Quelle supercherie intellectuelle ! La France « rescapée de la Commune » ? Comme si elle en avait souffert .. En relisant quelques textes sur la Commune de 1871, précisément, j’ai retrouvé le récit du comportement de Jules Ferry le 18 mars, lorsque les fédérés s’emparent des édifices publics à la suite de la débandade gouvernementale.

Par ce gouvernement de capitulards, Ferry avait été nommé maire de Paris, le 15 novembre 1870, et ses malversations durant le siège par les Prussiens lui ont valu le surnom de « Ferry-l’affameur ».

Adversaire acharné des fédérés, il tente désespérément, le 18 mars 1871, de mobiliser des gardes nationaux fidèles au gouvernement pour étouffer l’insurrection. Mais il échoue. Transi de trouille, il s’échappe alors de l’Hôtel de Ville en passant par la fenêtre, se rue dans un presbytère pour demander la protection ecclésiastique, puis réussit à s’enfuir à Versailles. Là, il poussera le gouvernement de Thiers à l’affrontement armé avec la Commune et applaudira à son écrasement durant la Semaine Sanglante.

De ce massacreur de la Commune, ll faut lire le rapide portrait qu’en fait Marx, dans « La Guerre civile en France » : « Jules Ferry, avocat sans le sou avant le 4 septembre, réussit comme maire de Paris pendant le siège à tirer par escroquerie une fortune de la famine. Le jour où il aurait à rendre de sa mauvaise administration serait aussi celui de sa condamnation ».

Le deuxième titre de gloire de ce héros de la République est plus connu. C’est la conquête du Vietnam par les troupes coloniales. Une conquête brutale, féroce, avec ses fusillades frénétiques et ses cadavres d’Annamites entassés par milliers. C’est la grande oeuvre coloniale de la IIIe République, avec ses massacres de populations civiles, ses exécutions de captifs, ces têtes coupées dont on fait des cathédrales macabres. Avec, aussi, cette monstrueuse hypocrisie : la « mission civilisatrice » du colonisateur, qui se dévoue pour civiliser les indigènes.

Ce texte, on ne se lassera pas de le citer, tant il illustre à merveille le mariage du racisme systémique et du colonialisme républicain. Tant il révèle la foutaise de cet universalisme français dont on nous rebat les oreilles depuis deux siècles : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation ».
Voilà, la messe est dite.

Une crapule, le Jules. Une ordure, plutôt : l’ordure de la République.

Bruno Guigue