Tunisie : les requins et le coronavirus

Mon fils travaille dans secteur de la restauration. Il a eu même par moment des journées de seize heures. Hier, il a été mis à la porte. Même son salaire pour les jours travaillés ne lui a pas été versé, et peut être bien qu’il ne l’aura pas, coronavirus oblige. Pourtant, son patron s’en est mis plein les poches en période normale. Mon fils a son père pour le soutenir et il a des perspectives prometteuses hors du pays. Mais ceux dont la vie et celle de leurs familles dépendent du salaire mensuel ou journalier que vont-ils faire ? Selon le chef de gouvernement Elyes Fakhfakh et le Président de la République Kaïes Saïed, ils doivent cotiser pour constituer un fond de solidarité destinée à la lutte contre l’épidémie. Comble du cynisme !

Ceci me revoie au roman d’Ernest Hemingway « Le vieil Homme et la mer ». Il s’agit de l’histoire d’un vieux pêcheur qui n’a pas été bien servi par la mer pendant plusieurs semaines. Un jour, il a senti que la chance va lui sourire. Il est sorti pour une journée en mer sur sa petite barque avec la ferme intention de pêcher un gros poisson. Il s’est élancé dans l’océan, et tard dans la nuit, il a senti qu’un très gros poisson a mordu à l’hameçon. Un duel s’est engagé entre lui et le poisson. Durant trois jours, qu’il a passé presque sans sommeil, Il a usé de toutes ses ruses, de sa force , de sa patience et de son endurance et finit par le faire sortir de par deux cent mètres de fond. C’était un gigantesque merlan qu’il a attaché avec beaucoup de peine au flanc de sa barque car, elle ne pouvait le contenir. A son retour au port, il a été attaqué par des requins qui se relayaient par bandes successives. Il a décidé à les combattre jusqu’à la mort. Il en a tué beaucoup, mais ils finirent par dévorer le poisson ne laissant que la tête attachée au squelette. Les requins ont continué à tourner autour de la barque, pour un moment, guettant une faiblesse du pêcheur pour le dévorer. Enfin, il arrive à rentrer au port avec ce squelette mesurant six mètres attaché à son bateau. C’était son trophée. Il a regagné, exténué, sa pauvre cabane où il n’y avait même pas le pain sec.

En ce temps de crise passagère de suite du coronavirus, nos requins qui nous ont réduits à l’état de squelette, refusent de puiser dans leurs réserves. Ils veulent notre peau comme les requins qui ont voulu dévorer le pêcheur d’Ernest Hemingway. Il y a à peine dix jours que l’épidémie est apparue en Tunisie et les voilà qu’ils crient famine. On ne les entend pas quand ils ramassent l’argent, épargnent dans l’immobilier et les comptes à l’étranger, éludent l’impôt et se détournent des cotisations sociales… Ils demandent aujourd’hui à l’Etat, qu’ils ont pillé, de leur venir en aide. Les requins islamistes enturbannés qui ont vidé les caisses de l’Etat depuis 2011 se font sourds et aveugles. Les requins mafieux de tous bords se frottent les mains, une période propice à se faire de l’argent.

Certes, l’Etat devrait prononcer des mesures d’accompagnement économiques au profit des entreprises touchées par la crise, Fekhfakh et Kaïs Saïd leurs peinent à promettre cela, il en va de l’économie du pays qui souffre déjà.
Mais ce qui m’a sidéré c’est que ni l’un ni l’autre n’ont parlé de mesures en faveur des nécessiteux et ceux qui ont perdu leur travail. Le pire, ils n’ont rien prévu ni à l’encontre des frères musulmans ( khouanjias ) qui ont vidé les caisses de l’Etat, ni contre les mafieux qui se sont enrichis en détruisant l’économie du pays et qui continuent leurs trafics. Par ailleurs, toutes les mesures consenties par l’Etat en faveur du patronat, en cette période, seront automatiquement mises sur le dos des travailleurs, pourvoyeurs principaux de l’impôt direct ou indirect.

Ni les ministres, ni les parlementaires de tous bords, et je précise bien de tous bords, ne dénonceront cette injustice. Ce sont les hommes d’affaires et les mafieux qui les ont propulsés aux hautes sphères de l’Etat pour qu’ils soient leurs agents dévoués. Ils leurs voteront ce qu’ils veulent.

A ce jour, aucun ministre, aucun parlementaire n’a parlé de distribution gratuite aux démunis de matériels de prévention contre le virus ou d’une aide quelconque en ces moments difficiles. Ils n’ont pas demandé qu’on leur réserve des emplacements appropriés pour une quarantaine éventuelle, étant donné que leurs conditions de logement ne s’y apprêtent pas. Et pour la population rurale et les ouvriers agricoles qu’a-t-on prévu, ainsi que pour ceux qui n’ont qu’une pièce où vivre ? Tous les responsables des pays européens ont insisté sur les mesures à prendre en faveur des nécessiteux. Qu’ils crèvent se diraient nos hommes d’Etat.

Les banques ont réagi. Elles disent qu’elles vont soutenir l’Etat et les entreprises. Mais, rien n’est clair pour ce qui est du soutien aux citoyens en prévision des dépenses imminentes et non prévues. Rien n’est prévu pour les collègues de mon fils qui ont perdu leurs emplois et leurs salaires alors que les requins n’ont rien perdu de leur voracité. En plus leur quarantaine serait dans les normes étant donné le luxe de leurs demeures, et l’ambulance leur parviendrait avant l’appel venant d’une des cités populaires.

Je ne peux nier que certains patrons ont garanti les salaires de leurs employés. Certains hommes d’affaires se sont même ralliés très généreusement à l’effort de solidarité nationale. Cela inciterait nécessairement les catégories moyennes et faibles à prendre leur exemple, bien qu’avec un nœud à la gorge car, l’Etat n’a pas pris l’argent chez les frères khouanjias qui ont dévalisé le trésor public et les mafieux qui ont détruit l’économie du pays. Les Tunisiens se sont habitués de  se prendre en charge en cas de crise sans s’en remettre à la nonchalance ou à l’ignorance de l’Etat.

Mounir Chebil