La Tunisie a célébré le mardi 13 août la fête nationale de la femme qui coïncide avec la commémoration de la promulgation du Code du statut personnel le 13 août 1956, l’œuvre du Zaïm Habib Bourguiba. Un code qui a mis des jalons substantiels à l’émancipation de la femme. Il continue d’être une révolution dans le monde arabe et islamique rien que par l’abolition de la polygamie.
Diverses dispositions légales sont venues renforcer cet élan émancipateur devenu irréversible. Tout cet arsenal juridique a fait de la femme tunisienne l’égale de l’homme dans tous les domaines. Elle a su saisir avec courage les opportunités qui lui sont ouvertes. D’ une présence timide et discrète aux côtés de l’homme, elle a dépassé les tabous et renversé la donne pour dominer de larges pans du tissu social.
Là où elles se situent, les femmes tunisiennes «recherchent avant tout l’efficacité contrairement aux hommes qui tendent à être obsédés par le protagonisme. On lui reconnait de grandes qualités morales, surtout celle de ne pas être facilement corruptible. Elles bénéficient du préjugé favorable d’être fiable et loyale *» Elle est besogneuse et digne. La femme tunisienne a évité à tous les secteurs d’être unijambistes sans pour autant faillir à ses obligations familiales. Elle tient actuellement le haut du podium dans tant des domaines, même ceux considérés comme étant la chasse gardée des hommes, elle est citoyenne à part entière. Nulle femme arabe ou musulmane ne bénéficie de la liberté, des droits et du statut de la femme tunisienne. Toutefois, dans le domaine politique elle n’a pas encore la place qui lui est due en fonction de son rôle social.
Comme je l’ai écris dons mon livre Meskina Bledi ou Chronique ses années d’amertume**, « la femme tunisienne est héroïque au foyer, héroïque au travail, héroïque du haut des barricades de la liberté. » Car, son statut elle l’a gagné de hautes luttes. Elle était engagée dans la lutte nationale et syndicale, ainsi que celle de l’émancipation de la société … Elle était de l’avant dans la bataille pour une Tunisie sociale et démocratique subissant persécution et répression.
Après 2011, c’est elle qui était la première sur tous les fronts contre la secte des frères musulmans et leurs branches salafistes qui voulaient plonger le pays dans les ténèbres. Téméraire, elle a déchiré le drapeau noir de l’apocalypse pour lever haut dans le ciel l’étendard national. Elle s’en est drapée aussi pour sentir ses frissons sur son corps, dans le sang qui coule dans ses veines. Oh ! Qu’elle est belle et rayonnante cette Marianne de la République, dans ce drapeau rouge qui lui colle à la peau.
Au cours du Site in d’Errahil du Bardo de fin juillet 2013 et septembre 2013, qui devait, au début, aboutir à la dissolution de l’Assemblée nationale constituante et le renversement du gouvernement de frères musulman issu des élections de 2011, la femme tunisienne était fortement présente et combative. Le 13 Août 2013 c’était plusieurs dizaines de milliers de femmes de tous le pays qui ont convergé devant cette assemblée pour peser dans le processus engagé contre le projet frériste de la constitution. Enfin, sous le poids de cette mobilisation qui a duré des semaines, le gouvernement islamiste d’Ali Laraayedh a été déchu. Et la nouvelle constitution promulguée.
Enfin, aux élections de 2014, la Kahéna, a porté, par son vote massif, Si Béji Caïed Essebsi et son parti Nida Tounes au pouvoir, éclipsant ainsi le nuage noir qui a assombri le ciel de la Tunisie pendant trois ans, de 2011 à 2014 et donnant espoir à tous ceux attachés à la modernité et au progrès.
Le Code du statut personnel a été promulgué dans des conditions sociales et politiques minées par les résistances des notables religieux et le conservatisme ambiant en ces temps. Ainsi, ce code laisse-il un goût d’inachevé. L’inégalité successorale demeure la tare de ce code. Si Béji Caïed Essebsi a voulu achever l’œuvre de Bourguiba en initiant un projet de loi consacrant l’égalité d’héritage entre les deux sexes. C’était pour lui une mission mais aussi une reconnaissance à cette femme qui l’a porté au pouvoir et qui détient l’avenir du pays entre les mains.
Il était prévisible que ce projet suscite une levée de boucliers chez les frères musulmans. Leur projet pour la femme étant la NEP : Nikab, Excision, Polygamie. Oh ! Quel sacrilège, le projet de si Béji a touché aux commandements de Dieu qui ne prêtent pas à interprétation, selon eux.
Il n’y a pas de doute que si ce projet a été défendu d’une manière conséquente par le clan anti Ennahdha, il aurait pu passer étant que les mentalités ont changé surtout chez les jeunes. On n’est plus dans le contexte de 1956 et le discours salafiste n’a pas une grande audience en Tunisie. Le plus grave, c’est que ceux qui se déclarent internationalistes, progressistes, démocrates ou modernistes ont tenu à ce que le projet de si Béji demeure lettre morte.
Le chef du gouvernement Yousef Chahed a laissé ce projet dans les tiroirs de son bureau. Sa vassalité au parti frériste Ennahdha le pousse à ménager ce partenaire auquel il doit son maintien à la primature et sur lequel il continue de compter pour son avenir politique.
Mohsen Marzouk l’homme de « gauche » reconverti en réactionnaire ne veut pas non plus indisposer Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste Ennahdha, son allié dans le projet turquo-qatari du printemps arabe en Tunisie qui devrait porter les islamistes au pouvoir, espérant aussi récolter des miettes pour sa servilité à tonton Rchouda. Cette position est partagée aussi par le parti de Moncef Marzouki, est ses ramifications, dont le parti de Abbou… Ceux là mêmes qui se targuaient de leur militantisme pour la démocratie et la laïcité du temps du Président déchu, Ben Ali.
Pour Mehdi Jomaa, le Président du Parti El Bédil, l’émancipation de la femme n’est pas sa tasse de café. Seuls les intérêts de certains groupes financiers le préoccupent.
Nabil Karoui, le président du Parti Kalb Tounes, est uniquement obsédé du pouvoir pour l’immunité qu’elle lui procurerait et qui le prémuniraient des poursuites pour ses sombres affaires. La mafia a besoin du pouvoir. Tout est mis à contribution : argent, victuailles distribuées aux démunies… Et le voilà tenir un discours rétrograde.
Une certaine Terras, une insignifiante dame venue de France, croit qu’avec de l’argent elle peut acheter les voix qui la porteraient à Carthage. Elle convoite seulement le somptueux SPA laissé par Léila Ben Ali au palais présidentiel, pour préserver une éternelle jeunesse.
Et nous voilà avec cette Abir Moussi présidente du parti destourien et qui se prétend héritière de Bourguiba. Pour elle , le projet de si Béji est en contradiction avec les mœurs tunisiennes et notre mentalité. Il faut dire aussi que dans son entourage, même le Code du Statut Personnel actuel est mis en question. Il a octroyé à la femme plus de droit qu’il n’en faut, disent-ils. Dans son parcours il n’y a que pour son égo surdimensionné. Par ailleurs quand les femmes tunisiennes étaient dans l’arène des gladiateurs à affronter les animaux sauvages, elle n’était même pas sur les gradins.
Puis, viennent les dirigeants du parti Nida Tounes et les parlementaires, si corrompus, si cupides, qu’ils jetteraient leur mère dans la rue et spolieraient leurs sœurs pour des questions d’héritages. Donc, il est normal qu’ils ferment les yeux sur le blocage du projet de si Béji. Mais il n’en demeure pas moins, que le débat sur le statut de la femme peut être remis sur la table étant le courage de ses militantes et leur engagement contre les courants rétrogrades.
Il faut dire que le contexte politique actuel dominé par la pourriture, la balkanisation et le nombrilisme demeure un handicap à la loi sur l’égalité en matière d’héritage. Le machisme encore ancré dans les partis politiques même ceux de la gauche, rendent le combat pour cette égalité plus que dur. Tous louvoient le vote des femmes pour les faire taire par la suite. Seul, dans cette conjoncture, Saïd El Aïdi, président du parti Bani Watani, s’est prononcé en faveur de cette loi. Il a annoncé, par ailleurs, son soutien à Abdelkérim Zbidi. De l’école de Bourguiba et de Béji Caïd Essebsi, Zbidi serait l’espoir de la femme tunisienne. Mais, c’est à celle ci d’être plus solidaire et surtout plus autonome des ces partis fondamentalement machistes malgré les apparences et les discours, pour investir le Bardo, comme en Août 2013, et infléchir les parlementaires à voter le projet de Si Béji, ce qui ne pourrait que le réconforter dans sa tombe et donner à la journée du 13 août sa pleine signification et à Si Zbidi le soutien nécessaire pour mener la Tunisie à bon port.
Mounir Chébil
• Nédia Djaoui, Khawla Ben Aycha, Quand nous atteindrons l’égalité parfaite entre hommes et femmes nous auront gagné, LECONOMISTEMAGHREBIN.COM, 12 Août 2017
• Mounir Chebil, Meskina Bledi ou Chronique ses années d’amertume ( octobre 2017 )