
Mansour Mhenni
Un récent sondage réalisé par l’Institut républicain américain a fait état de chiffres étonnants mais nécessitant une profonde réflexion. D’après ce sondage, 83% des électeurs n’iraient pas voter, tandis que 3% voteraient pour Nidaa et 3% encore pour Ennahdha.
Sur un chiffre approximatif de 8 millions électeurs, 3% représentent 240000 électeurs qui voteraient pour Nidaa et autant pour le mouvement islamiste Ennahdha. Si 83% ne votent pas, le pourcentage des votants étant de 17%, on aurait ainsi 1.360.000 votants, ce qui donnerait à chacun des deux partis ci-dessus indiqués un pourcentage final de 17,65% de voix, et ensemble, ils auraient 35,3%. Ce qui suppose encore que deux ou trois autres partis, pouvant accepter la coalition avec les deux premiers, totaliseraient au moins 15%, ce qui reste probable.
Cependant, le grand hic dans l’affaire, c’est que certains partis sont catégoriques à refuser toute coalition avec Ennahdha, sans d’ailleurs chercher à l’exclure du paysage politique, autrement ils entreraient dans le champ de l’insensé. Les plus en vue sont Machrou Mohsen Marzouk et le Parti de Abir Moussi, le Parti destourien libre. Mais les Tunisiens ne semblent plus aussi crédules et donc ne sont plus disposés à se laisser prendre à ce stratagème politique leur ayant montré comment Marzouki et Ben Jaafer en 2011, puis Béji Caïd Essebsi en 2014 et d’autres partis plus tard ont promis de ne pas s’allier à Ennahdha et comment ils n’ont pas pu ou voulu tenir parole.
Certes le contexte, les circonstances et les enjeux n’étaient pas les mêmes à chaque fois, mais pour l’électeur commun et même pour certains électeurs peu communs, il va falloir des arguments solides pour leur expliquer ce qui s’était passé. Faut-il mettre le Front populaire, AlJabha, dans ce lot qui boude catégoriquement les « islamistes », ainsi catégorisés toujours jusqu’à preuve du contraire ? Car l’extrême gauche a ses fidèles incorruptibles, comme Ennahdha, et ils lui apporteraient les 7 ou 8% des voix au moins, malgré qu’il en ait. Force est de constater que certains votes à l’ARP ont laissé percevoir, à plusieurs reprises, le spectre d’un front commun entre les deux sensibilités, Ennahdha et Al-Jabha, sous prétexte de navigation à vue. Or celle-ci ne saurait soutenir longtemps des positions de principe et une idéologie cohérente. C’est dire, en fait, qu’une alliance entre ces deux sensibilités politiques est envisageable, pour peu que Rached Ghannouchi accepte de donner quelques boucs émissaires pour les meurtres de BelAïd et Brahmi. Et cette alliance se ferait alors contre des adversaires politiques d’AlJebha avec lesquels la rupture paraît irrémédiable, comme c’est le cas de Nidaa, semble-t-il. Reste à savoir si Ennahdha accepte de prendre un tel risque. Cela paraît inconcevable si le Nidaa ne prend pas les devant de la rupture.
Jusqu’à quel point donc les autres partis peuvent-ils trancher l’option politique de demain car, dans l’absence d’une majorité absolue (50% + 1), les petits pourcentages peuvent être déterminants. Il conviendrait de noter que chacun de ces petits partis a désormais sa doublure : Afek qui rivalisait avec Slim Riahi a maintenant le parti d’un autre Mahdois, de prénom et de naissance, pour suppléer un UPL en pleine turbulence, déjà avant les derniers déboires de son président. Abir Moussi, la Destourienne — trop destourienne peut-être pour le contexte —, a en face d’elle le parti Al-Moubadara, de Kamel Morjane, qui continue son petit bonhomme de chemin, sans tension exacerbée, ce qui pourrait jouer en sa faveur.
Par ailleurs, à moins d’une autre révolution, dans le paysage politique cette fois, les autres partis, y compris ceux qui s’énoncent et ceux qui s’annoncent, rempliraient l’espace de la scène en tant que figurants. Pensons toutefois à ces figurants qui, à partir d’un jeu de rôle, un JdR ou un RPG, peuvent chambouler tout le tournage !
Reste enfin à actualiser une autre donnée apportée par le sondage ci-dessus cité, en l’occurrence que, pour 68% des Tunisiens, les vrais problèmes restent ceux du chômage et de la corruption. Cela ne veut-il pas dire que la seule machine à même de renverser la tendance défaitiste à l’égard des prochaines élections reste le gouvernement et à sa tête Youssef Chahed. Si ce dernier fait des pas sensibles dans sa lutte contre la corruption qu’il semble décidé à combattre et contre laquelle il serait en train de déployer les grands moyens, au rythme que lui imposent toutes les embûches que dressent devant lui des lobbies blessés dans leur amour-propre et touchés dans leurs intérêts ! Et si le même Chahed réussit son plan pour le plus d’emplois possibles, tout en repensant l’adéquation efficiente de la formation et de l’employabilité ! Ne pourra-t-il pas donner un autre son de cloche, concordant avec l’écoute citoyenne, pour donner aux prochaines élections un autre goût… et un autre pari ?
Mansour M’henni