Wahhabisme parisien ou saoudien ?

Amin Zaoui

Amin Zaoui

Enfants, adolescents, nous avions grandi dans un espace politico-culturel et religieux qui n’a cessé de bourrer nos petites têtes par : nous sommes les enfants du parti unique, nous sommes les croyants d’un Dieu unique, nous sommes les apprenants d’une langue unique celle du paradis, nous sommes les meilleurs enfants du monde ! Les constantes qui représentent le soubassement de la construction de l’État-nation nouvellement indépendant : la langue, la religion, le parti unique et le socialisme nous ont rendu figés, bornés, carrés et fanatiques. Avec toutes les injustices et les atrocités du colonialisme, les accords d’Évian qui ont ouvert le chemin vers l’indépendance ont mentionné et ont appelé, noir sur blanc, au respect de la diversité ethnique en l’Algérie indépendante. Mais le cours de l’Histoire a voulu autrement. Les violences perpétrées par l’OAS (Organisation de l’armée secrète), les haines, le problème des harkis, les règlements de compte entre les enfants de la révolution, frères de la guerre ennemis de l’indépendance… toute cette atmosphère de haine et de violence n’a pas favorisé la diversité en Algérie. Le plus fort et le plus violent a fait taire, plutôt a enterré les autres voix vivantes, différentes. Vite, la liesse de l’indépendance est tombée dans la peur. Le silence. L’exil. Les assassinats. Tout cela se faisait au nom de la logique de l’État, au nom de la sauvegarde de la révolution. Dès les années soixante-dix, on espérait que la forte communauté algérienne installée notamment en France, et en Europe en général, par son élite moderne est capable d’apporter un nouveau souffle à la vie en Algérie, un pays nouvellement indépendant mais qui a commencé à vieillir très tôt !! Surtout à partir de la deuxième génération de cette élite qui a fait l’école française, qui a vécu le quotidien français, qui a expérimenté l’institution française, qui a confronté le racisme et dont les parents ont vécu l’amertume de l’analphabétisation, de la colonisation, de l’intégration et du racisme !!! L’élite franco-algérienne, à partir de la génération de l’écrivain Azouz Begag, pour ne citer que ce cas, faisait rêver. Dans le pays d’origine, l’Algérie, on se disait que cette élite peut présenter une sorte de roue de secours pour sauver la marche de la diversité. On imaginait que cette élite franco-algérienne pouvait remplacer, au moins sur le plan symbolique, le vide enregistré après le départ des Européens d’origine algérienne, les instituteurs, les artistes, les épiciers, les petits paysans, les chauffeurs, les commerçants, les artisans, les administrateurs, les médecins…. ceux qui appartiennent au milieu des petites gens ou à la classe moyenne. Je ne parle pas des colons qui ont choisi clairement leur camp et leur heure ! Cinq millions d’Algériens installés en France, peut-être un peu plus. Des millions de familles communes ou mixtes, sur les deux rives, qui se partagent les fêtes, la langue, le rêve, le sel et le pain ! Un train de vie commune malgré le passé lourd et la mémoire blessée. Une richesse humaine pour sauvegarder la diversité ! Malgré le racisme, la montée de l’extrême droite, on imaginait que le pays d’accueil, la France qui, par les valeurs de la révolution française, par la force de sa classe ouvrière, par ses richesses culturelles littéraires et artistiques, par la laïcité, cette France positive peut offrir de la lumière à notre communauté qui à son tour la transfèrera au pays d’origine. Afin de donner un souffle à la diversité et à la modernité. Il n’y a pas de diversité sans la laïcité.

Cinquante après, l’indépendance a vieilli et très vite, l’Algérie s’est vue traverser une décennie de sang. Avec des milliers de martyrs, elle échappa au démantèlement de l’État. Cinquante ans après, si l’Algérie est sortie de la violence sanguinaire islamique, bien que le danger ne soit pas définitivement écarté, de l’autre côté, en France, l’islamisme djihadiste et le salafisme wahhabiste rongent sauvagement les milieux de la communauté maghrébine. Notre communauté en France est totalement islamisée ou presque. Quelques poches de résistance ! Les milliers de mosquées et des lieux de cultes musulmans financés par l’Arabie Saoudite, encadrés par des frères musulmans ou des imams salfistes wahhabistes ont assassiné le rêve de voir venir un souffle d’air frais des milieux de cette communauté. Et je ne suis pas pessimiste ! Aujourd’hui, bien que la société algérienne soit islamisée ou presque, la jeunesse algérienne est plus libre en comparaison à celle issue de la communauté algérienne de France. On commence à avoir peur de cette communauté. Par la fascination de l’image de l’Occident sur l’imaginaire du sudiste, cette communauté djihadiste et salafiste est capable de nous tirer, une fois encore, vers le passé, vers le conservatisme. Et le rêve que peut apporter cette communauté à la diversité et à la laïcité en Algérie est enterré ! Aujourd’hui, nous avons peur du wahhabisme parisien plus que du wahhabisme saoudien !

Amine Zaoui

Illustration haut de page : Le prince héritier wahabite saoudien, Mohamad Ben Nayef en visite en France, en mars 2016