La dégradation de la notation du risque souverain tunisien se poursuit. Moody’s vient de rabaisser la notation de la Tunisie et de sa dette souveraine en devises de « Ba3 » avec perspective « négative » à « B1 » avec perspective « négative ».
Ce niveau de notation représente une chute de 6 catégories depuis les changements profonds de l’environnement politique tunisien en 2011. Il convient de rappeler que la Tunisie a sollicité et obtenu en 1995 sa première notation souveraine au grade d’investissement « Baa3 » avec perspective « stable » auprès de cette agence. Huit ans plus tard en 2003, cette notation a été revue à la hausse pour se situer à « Baa2 » avec perspective « stable » et ce, sous l’effet à cette époque, du raffermissement des équilibres extérieurs notamment. A noter au passage, que la gestion de la notation a toujours obéi à un suivi rapproché et à une stratégie visant à répondre aux critères freinant sa révision à la hausse, pour améliorer les conditions générales d’accès et d’endettement de la Tunisie sur les marchés des capitaux internationaux.
Dès Février 2013, cette agence a commencé à réviser à la baisse la notation de la Tunisie pour la fixer en février de cette année, à « Ba1 » avec perspective « négative », puis en novembre de la même année, à « Ba3 » avec la même perspective avant de la ramener à « stable » en mai 2015, puis de nouveau à « négative », en novembre 2016.
La nouvelle notation de Moody’s classe désormais la Tunisie parmi les risques « très spéculatifs » selon sa définition, au même titre que des pays de rating B1 comme le Sénégal, l’Angola, l’Ethiopie, le Sri Lanka, la Jordanie, l’Arménie, l’Albanie, le Vietnam, etc.
Avoir placé la notation en novembre 2016 sous perspective « négative » était déjà annonciateur d’un fort risque de révision à la baisse, si les déséquilibres majeurs intérieurs et extérieurs ne sont pas rétablis et que les réformes structurelles, pour placer l’économie tunisienne sur un nouveau sentier de croissance durable, ne sont pas entamées.
Certes, des avancées notables ont été enregistrées sur le plans sécuritaire ainsi qu’un certain nombre d’actions, comme la Conférence des Investissements 2020 et la publication du Code des Investissements visant à améliorer le climat des affaires, mais les fragilités économiques et financières observées depuis les lendemains de janvier 2011 persistent: dérapage des finances publiques et de la balance courante, croissance vertigineuse de la dette globale et notamment extérieure, inflation continue, baisse des exportations et déficit commercial chronique, secteur bancaire davantage plombé par la baisse de l’activité et la détérioration de son portefeuille, tourisme en berne, IDE en baisse, glissement important du dinar sous l’effet de la baisse de la liquidité en devises du marché, baisse continue des réserves de change essentiellement alimentées par les tirages d’endettement extérieur, économie parallèle représentant un pourcentage très élevé du PIB, etc.
A cela s’ajoutent d’une part, la persistance de foyers de tension sociale entretenue dans les bassins miniers et les industries énergétiques, affectant les capacités de production et de commercialisation de ces produits et entretenant un climat de défiance à l’égard des autorités et des institutions.
Cette nouvelle notation rejoint la catégorie de notation (risque « très spéculatif ») dans laquelle Standard & Poor’s a classé en 2013 la Tunisie (à un rang encore inférieur) avec la même perspective « négative » et qui lui a valu le retrait de sa notation officielle auprès du pays.
Quelles sont les retombées de cette nouvelle dégradation de la notation souveraine ?
Comme les commentaires de l’agence l’expriment, elle traduit le constat que :
(i) Les grands équilibres, à savoir celui des finances publiques et celui de la position nette extérieure, n’ont pas pu être rétablis et continuent à se détériorer, ce qui grève le potentiel de redressement financier, retarde la reprise de l’investissement en général et la relance de la croissance, affecte la confiance du marché et nourrit un climat d’incertitude sociale déjà fragile.
(ii) La batterie de réformes structurelles convenues, notamment, avec le F.M.I dans le cadre de la Facilité Elargie mise en place pour soutenir financièrement la Tunisie, n’a pas été réalisée, voire n’a pas été entamée pour bon nombre de ces réformes, pourtant essentielles au titre de l’assainissement économique et financier du pays.
Sur cette base, l’agence considère que l’absence de signes d’une reprise manifeste de la croissance, de la maîtrise des équilibres et d’une fermeté gouvernementale et institutionnelle quant à la conduite des réformes agréées, hypothèquent lourdement la capacité de la Tunisie à mobiliser des ressources extérieures pour le financement de son économie et de ses réformes, sachant que les tranches futures à mobiliser au titre de la Facilité Elargie sont soumises à la réalisation des réformes structurelles arrêtées. La suspension des tirages au titre cette Facilité, du fait de la non réalisation des réformes et des objectifs quantitatifs fixés, entrainerait celles des autres bailleurs de fonds, comme notamment, la Banque Mondiale et l’Union Européenne qui participent effectivement au programme de redressement de l’économie tunisienne.
Face doublement, à la poursuite d’une position extérieure détériorée et à la difficulté de mobiliser des fonds extérieurs, tant auprès des organismes multilatéraux que du marché, l’agence Moody’s considère que les réserves de change du pays, alimentés essentiellement par les tirages d’endettement extérieur, qui ont brutalement baissé au cours des derniers mois vont poursuivre cette tendance et risque d’altérer la capacité de la Tunisie à honorer ses engagements financiers externes, notamment ceux portant sur les obligations internationales à l’échéance de 2019. Les réserves de change se situaient au 18/ 08/ 2017, à MDT 11 672 (91 jours d’importations) soit 4 728 MUSD, contre MDT 12 945 (118 jours d’importations) soit 5 898 MUSD un an plus tôt. N’était la dépréciation du dinar et du cours de change USD/TND du 18/ 08/ 2016, le niveau des réserves aurait été à la même date en 2017, de 5 318 MUSD, soit environ 102 jours d’importations.
Il convient de rappeler que le principe de la notation de risque effectuée par les agences de notation est d’analyser, principalement pour les investisseurs institutionnels et privés sur les marchés, la capacité d’un émetteur ou d’un débiteur à pouvoir honorer les échéances financières actuelles et futures de ses engagements.
Les effets de cette dégradation de la notation souveraine ne se limitent pas à la baisse de la valeur du papier tunisien sur les marchés secondaires et par la même occasion au renchérissement de la marge du risque souverain tunisien sur les marchés. En effet, elle induit deux autres principaux effets : d’une part, celui de la révision des conditions en termes de maturité, de montant et de coût des lignes de crédits à court terme, des banques tunisiennes auprès de leurs correspondants financiers étrangers pour traiter les opérations courantes de leur clientèle d’opérateurs économiques et d’autre part, une appréciation générale de la qualité du risque pays pour les investisseurs étrangers souhaitant installer des unités productives en Tunisie.
Par ailleurs, cette nouvelle notation a un effet sur le potentiel de mobilisation de ressources de la Tunisie sur le marché international des capitaux. Elle pourrait conduire à une baisse des montants à pouvoir être mobilisés, à celle des maturités des émissions à réaliser, à un renchérissement des marges de risque et à une moindre qualité des investisseurs, ce qui générerait davantage de volatilité sur la cotation de l’émission sur le marché secondaire. Ceci induirait également une concentration des paiements sur le court terme et une détérioration des paramètres du service de la dette.
A ce jour et à titre de référence, les émissions en devises de la BCT : celle en USD assortie d’un coupon de 5,75% l’an échéant en 2025 et celle en Euro assortie d’un coupon 5,625% l’an échéant en
2024, se traitent avec des marges de risque au-dessus du taux de référence de chacune de ces devises sur le marché secondaire respectivement de 4,255% et 5,21% l’an. Ces marges représentent les niveaux auxquels la Tunisie pourrait aspirer pour lever des fonds sur le moyen terme sur les marchés des capitaux internationaux.
Le CIPD renouvelle ses inquiétudes quant à la situation économique et financière du pays et rappelle que son livre « Eléments de Stratégie de Sortie de Crise » avance un certain nombre d’actions : des actions de redressement à court terme, un ajustement plus équilibré et plus intégrateur du modèle emprunté depuis 2011 et la mise en œuvre d’un ensemble de réformes, huit au total, touchant le domaine économique et financier.
Par Habib SFAR
Membre du Centre International Hedi Nouira de prospective et d’études sur le développement ( CIPED )
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