Souvenir d’enfant, en hommage au Docteur Brahim Gharbi

Ce matin, un personnage hors du commun a tiré sa révérence.
Il s’agit du grand phtisiologue spécialiste des maladies pulmonaires, Docteur Brahim Gharbi.
Originaire de Kelibia, il était considéré un peu Haouarien pour l’attention et le soutien qu’il ne cessait de réserver aux malades du village qui trouvaient en lui et chez lui l’unique recours pour leur problèmes de santé.
Les villageois les plus démunis allaient le voir sans rendez-vous et rentraient rassurés même s’il ne leur donnait qu’une poignée de cachets d’aspirine ou d’un flacon de mercuro-chrome .
C’est que la plupart étaient des hypocondriaques et un placebo suffisait à les remettre d’aplomb.
Il était tellement populaire que son nom était devenu synonyme de Docteur comme la marque Frigidaire avait fini par désigner tout équipement de réfrigération.
Même en allant voir un autre spécialiste, les gens disaient  » j’ai été voir Brahim Gharbi du cancer ou Brahim Gharbi des maladies digestives ».
Pour les atteints de tuberculose, comme ce fut le cas pour mon père, il assurait un suivi qui en avait fait presqu’un membre de la famille.
Il venait à la maison s’enquérir de son état de santé et l’emmenait avec lui à l’hôpital de l’Ariana quand son état ne connaissait pas la rémission attendue.
Je me souviens encore du jour où une camionnette était venue prendre toute la famille, une dizaine d’adultes et enfants, pour un examen radiologique du thorax et des poumons à Tunis dans un hôpital à Tunis.
Il voulait s’assurer du degré éventuel de contagion.
Heureusement pour la plupart d’entre nous, la tuberculose qui faisait des ravages n’avait pas encore touché nos frêles systèmes respiratoires.
Comme nous habitions dans une seule grande chambre avec de maigres couvertures comme séparations, il avait retenu mon père à l’hôpital pour éviter les inévitables contagions et propagations de la maladie .
De temps à autres, et pour compenser l’absence prolongée de notre père, il nous envoyait des cartons pleins de médicaments préventifs, du lait en poudre et des bonbons…
Au bout de six mois de traitement intensif à l’Ariana, un jour ensoleillé de début de printemps, on a vu Brahim Gharbi arriver avec son sourire angélique et paternel frapper à notre porte pour nous annoncer la rémission totale de notre père.
Reconnaissante, ma mère a voulu sacrifier son plus beau coq Arbi et préparer un couscous en son honneur.
Mais il s’est excusé vu le nombre de patients qui l’attendaient dans l’infirmerie du village.
Je devais avoir huit ans.
Voilà le souvenir que j’ai gardé du Docteur Brahim Gharbi, un souvenir indélébile qui démontre les rares qualités humaines et professionnelles du personnage.
PS.
Docteur Brahim Gharbi n’avait jamais accepté d’être payé par les patients en situation de précarité économique et sociale.
Que son âme repose en paix.

Wahid Ibrahim