Une autre source de légitimité ou la solution militaire

On a coutume de n’admettre comme légitime un pouvoir politique qu’en tant qu’il échoit à ses détenteurs par la convergence d’éléments positifs inscrits dans un ensemble de règles, pas toujours écrites, mais ayant cours préalable de sorte que, sous un régime stable, leur remplacement aux commandes de l’Etat reproduit les mêmes procédures ou rites et, autrement en cas de rupture comme à la suite d’une vraie ou fausse révolution, suppose la définition toujours préalable de nouvelles règles pour qu’il en soit fait mêmement par la suite.
Le cas n’est pas imaginaire où, élaborées par des constituants ignorants ou peu imprégnés des notions d’Etat et de chose publique, sauf pour y mordre à pleines dents, et où elles sont taillées aux mesures d’authentiques malfrats, ces nouvelles règles font par voies de conséquence que de l’indépendance d’un pays et de la haute considération dont il jouissait sur la scène et auprès des instances internationales il ne reste qu’un pâle souvenir, qu’il court vers sa ruine économique, que la cohésion sociale se défait, que la société civile devient inopérante sinon vole en éclats et que le terrorisme promet le chaos en prélude à l’avènement d’une horrible tyrannie d’inspiration prétendument divine
Dans une telle situation de désordre et de désolation institutionnelle, c’est-à-dire de péril national, il va de soi que l’armée nationale, seule force organisée et épargnée par le mal ambiant, jouissant à juste raison de la confiance du peuple, se trouve, le plus naturellement du monde, suite à leur déperdition, dépositaire des attributions de l’Etat dont elle ne fait pas seulement partie intégrante, mais qu’elle peut alors réincarner pleinement, autrement dit en s’appuyant sur une légitimité que je dirais négative puisque l’utilité dont elle procède consiste à combler un vide.
En effet, comme cela est suggéré en titre, si la source de la légitimité du pouvoir politique dans une situation générale normale tient à l’existence des normes régissant l’Etat de droit et surtout à leur respect par les corps constitués, ce que j’ai désigné plus haut comme les éléments positifs de ladite légitimité, rien ne s’oppose du strict point de vue juridique à reconnaître celle-ci à l’intervention de l’institution militaire quand ils font défaut.
Cette intervention provisoire répondant à l’impératif catégorique, aurait dit Kant, de purification des institutions de l’Etat, d’éradication du terrorisme et de rétablissement de la sécurité publique et de l’ordre républicain sur des fondements mieux préparés qu’ils ne l’ont été auparavant ne devrait souffrir d’aucune confusion avec les tristement folkloriques coups d’état, putschs et autres pronunciamientos.
Il s’agit de la confiscation du pouvoir politique entendu comme celui d’exercer l’autorité de l’Etat et dont j’ai développé les justifications dans un post publié sur Fb, le 20 août 2016 sous le titre « Armée turque, l’heure de vérité. »
En voici un extrait :
L’usage par surprise de la force, inhérent à la notion classique de coup d’état, rendrait la chose autrement plus problématique moralement et aussi aléatoire que devant un tapis vert, à moins qu’il ne s’agisse d’une confiscation du pouvoir. Ce n’est pas une vue de l’esprit si l’on a en mémoire une première, peut être annonciatrice du recouvrement de la parole par la grande muette , je veux parler des mises en garde du général Alexandre Lebed à l’adresse du gouvernement russe au lendemain du coup d’état manqué du 20 août 1991 et le mouvement d’opinion qui les avait accompagnées, particulièrement au sein de l’armée dans le sens d’une prise du pouvoir annoncée comme un recours possible devant les errements de la direction politique de la fédération. Aucune conspiration ou félonie n’a été reprochée à Lebed quand bien même il était sorti des clous, simplement parce qu’il l’avait fait sans s’en cacher et avait l’armée derrière lui. .
On l’aura compris, l’exemple égyptien, pleinement illustratif de cette idée, me parait transposable malgré des différences tenant à une implication de l’armée dans la conduite des affaires de l’Etat plus marquée au Caire qu’à Ankara et aux clameurs de la place Ettahrir mais qui se ramènent en fin de compte aux variables d’une même équation.

Abdessalem Laarif