Un Cheikh aux anges

Notre cheikh (1) , a toujours eu la baraka et la bonne étoile pour veiller sur lui. Même quand du temps de Bourguiba l’épée de Damoclès lui était réservée, la providence lui a envoyé une voiture officielle pour le faire fuir en Algérie. Et on dit que Ben Ali est coupeur de tête ! De tous temps, là où il a atterri, notre cheikh était entouré de toutes les sollicitudes.

La villégiature londonienne était de tout repos, de tout confort et de tout espoir au trône.
Les années ont passé, et alors qu’il était bien au chaud dans sa demeure british, les limousines s’alignèrent devant sa porte. On l’emmena chez le coiffeur pour mettre de l’ordre dans ses cheveux crépus et ébouriffés. Puis, vient le tour des esthéticiens européens et américains, faiseurs de miracles. On a voulu faire de lui l’héritier de Rousseau et de Voltaire.

Malgré le phénomène de rejet on arriva combien même et pour la circonstance, à fixer sur son visage des crèmes antirides. Les boutons, les points noirs passèrent sous ces écrans. Enfin, on l’aspergeât de déodorants démocratiques et on lui a appri à sourire pour l’expédier par avion à son pays natal, la Tunisie hospitalière, débarrassée de Ben Ali.

De retour en Tunisie en début de l’année 2011, il mène une vie de sultan. Pourtant on ne lui connait ni richesses ni héritage cossu. Il fût adulé par ceux qu’il a abandonnés à leur triste sort, et ce, malgré les souffrances qu’ils ont endurées à sa place et du fait de ses erreurs durant la présidence de B. Ali.

Ses détracteurs, certains ont été séduits, d’autres sont entrés en complicité avec lui, d’autres encore, l’ont craint. Mais tous ses détracteurs l’ont aidé d’une manière ou d’une autre à monter sur le Trône suite aux tristes élections de la Constituante d’octobre 2011.
A ce moment, les crèmes ont vite fondu et les boutons et les points noirs ont refait surface. Les griffes ont repoussé et le rictus a effacé le sourire. Le déguisement du loup en chèvre tomba dès que les chevreaux lui ont ouvert la porte de leur cabane. Le loup est apparu menaçant et a, de suite, mis sa férocité en œuvre. « Chassez le naturel, il revient au galop ».

Les Tunisiens, les Tunisiennes surtout, ont eu peur. Les Tunisiens ont été dévorés. En Août 2013, les mères ont accouru au Bardo délivrer leurs chevreaux suivis de chasseurs revigorés par un patriarche élevé à l’école de l’aïeul de la Tunisie. Mais au moment où les mères téméraires et les chasseurs allaient s’en prendre définitivement au loup, Obama dépêcha en toute urgence son avion et ramena le loup livide de peur à la maison blanche.
Là, le loup fût grondé. On lui tira les oreilles et on lui administra une petite fessée. Il fût allongé sur le billard au milieu des meilleurs esthéticiens du monde, engraissés par la manne qatarie.

Alertés, les stratèges lui crièrent : Surtout pas d’empressement, pas d’empressement, cool, cool et koul, tout te sera servi sur un plateau en or, surtout cool, cool et koul. Ils lui ont assuré que l’Amérique n’abandonne jamais ses enfants. Ils lui ont conseillé de ne pas s’inquiéter. L’Amérique a besoin de lui.

Cette fois-ci, les chevreaux seront bien embobinés. On lui criait, si on te demande d’être homo, soit le protecteur des homos, si on te propose un joint, tue Kafon pour devenir le roi de la sniff. S’il faut pour la circonstance remplacer le sommelier, pas de complexe. Et surtout ne touche ni aux cheveux, ni aux tétons, ni aux jambes bien galbées des femmes. Danser dans les fêtes, donne une belle image. Le chanteur Ben Gamra te sera d’un grand secours. Ya Cheikh, fais-nous confiance, nous te préparerons les chevaux qui te ramèneront dans ton carrosse royal, au palais de Carthage. Comme d’habitude, ton laquais Hamma Hammami sera aux commandes.
Les tailleurs italiens firent le reste et le top modèle démocratique est réexpédié à sa destination originelle pour le règne de l’ «islamisme doux et bon enfant».

Beaucoup ont été séduits par ce miracle qu’ils ont cru divin. Une agence matrimoniale « Karoui-Riahi » réussit à sceller le mariage qu’on croyait impossible entre le loup new-look et le patriarche ramolli, dans la chambre de l’hôtel parisien « Le Bristol ». Et voilà, le loup est de nouveau dans la cabane des chevreaux.

Certains de ses anciens détracteurs viennent lui demander le pardon et le sceau de la chasteté. D’autres, sollicitent ses faveurs tout en exhibant leur charme pour un petit strapontin, même éjectable. D’autres encore lui lèchent les bottes pour avoir l’honneur d’entrer dans sa cour. Que dire de ceux qui exaltent quand il leur adresse un mot gentil ! Il y a même des hautes personnalités politiques qui l’ont supplié d’intercéder en leur faveur pour devenir eunuques dans le harem du Sultan ottoman ou celui de l’émir Qatari. A chacun d’eux il distribue un rôle qu’il exécute avec l’obéissance de l’esclave, quitte à planter le couteau dans le dos de son propre frère. C’est le fin marionnettiste qui actionne ses pantins selon le scénario qu’il leur trace. Un scénario salafiste où il a le rôle du héros triomphant.

Sidi Echikh, rentré chez lui, et devant son thé à la menthe et son plasma, entouré de ses vassaux gesticulant et caquetant, on l’entend, à des kilomètres à la ronde, rire aux éclats des sous-fifres «démocrates» et «progressistes» qu’il manipule et qu’il voit fanfaronner à l’écran. Selon le proverbe tunisien : «Il vent le singe et se moque de celui qui l’achète».

Ceux qui partagent ses soirées familiales rapportent que dans ses crises de fou rire, il lui arrive de se plier en quatre ou de se débattre à même le sol. Souvent, le rire lui coupe le souffle et on lui appelle le SAMU, croyant à une crise cardiaque. Un jour voyant à la télé un gros calibre de la politique qui s’est prosterné à ses genoux quelques jours auparavant, et au milieu du fou rire qui l’a pris à sa vue, Sidi Echikh dit en pointant du doigt que ce pingouin aurait mieux fait d’aller chez le gynécologue pour se faire rafistoler l’hymen que venir lui demander le sceau de la chasteté. Alors, tous les invités ont ri aux éclats au point que la police frappa à la porte, leur demandant de faire moins de bruit car, il était minuit passé.

Ya sidi Echeikh, et en toute amitié, faites attention à votre santé ! Ces opportunistes et ces vendus ne méritent pas qu’on meure pour eux. Vous devez penser à votre épouse, à vos enfants et petits enfants qui ont encore besoin de vous.

Ya sidi Echeikh, évitez de prendre des dattes lors de vos soirées. Car, au lieu de cracher le noyau après avoir sucé le fruit, vous risquez, du fait du rire, de mourir asphyxié par le noyau qui n’a pas pu être craché. Mourir à cause d’un vulgaire noyau, n’est pas digne de vous. Je vous jure et vous le savez plus que moi, que si vous mouriez, ce noyau ferait comme s’il ne s’était jamais mis à genoux devant vous. Mourir à cause de ceux qui ont renié l’aïeul Bourguiba qui leur a donné le statut d’être humain pour choisir d’être des noyaux à cracher ou le cafard de Kafka du roman « la métamorphose », est du pur gâchis.

A tous ceux du camp de la modernité et de la démocratie en général, et aux destouriens en particulier, qui croient pouvoir vaincre séparément le loup déguisé en chèvre dans les laboratoires américains, je leur rappelle la tragédie de Pierre Corneille, Horace.

La légende rapportait que Rome et Albe étaient en conflit. Les chefs d’Albe et de Rome, sur le point de se livrer une bataille décisive, et voulant éviter le sang qui allait encore être versé, ont convenu de finir cette guerre par un combat de trois contre trois.

Trois guerriers, fils du chef de guerre Horace sont choisis par Rome pour défendre ses destins. Et trois Curiaces sont choisis pour défendre ceux d’Albe.

Horace le père a annoncé que les combats ont commencé. Après un temps, on apprend que deux Horaces sont tués, que le troisième est en fuite, et que les trois Curiaces sont à sa poursuite. Mais, un envoyé de Tulle, roi de Rome, vient annoncer au vieil Horace la victoire de son fils, dont la fuite s’est révélée être un stratagème pour vaincre les trois Curiaces, qu’il a exterminés l’un après l’autre.

Au lieu de poursuivre Horace unis, les trois Curiaces déjà blessés se sont séparés, prenant chacun d’eux une direction. Horace, en fin stratège, a su les surprendre un à un et les tuer séparément.

Que cette tragédie soit une leçon pour prôner l’union contre le loup, et arrêter le nombrilisme et la balkanisation dans le camp de la modernité et de la démocratie. Car, ma mère, malgré sa bonne volonté pour protéger ses enfants, est fatiguée par tant de trahison, et que Vendredi (Jômaa) est sous l’emprise de Robinson Crusoë, et que le témoin (Chahed) risque de ne pouvoir être que le témoin de la catastrophe, et que le lion (Essid) rechigne à regagner la jungle et rugir pour faire régner l’ordre. Il ne nous reste que notre unité pour sauver le modèle tunisien. Soyons les chevaliers de Tarak Ibn Ziad qui avaient le dos à la mer et l’ennemi en face.

Mounir chebil , tiré du livre « Meskiiina Bledi ou Chroniques des années d’amertume« 

1- En référence à Rached Ghannouchi, Président du parti islamiste tunisien Ennahdha.