Tunisie : « Lâchez les fauves ! »

Ce n’est un secret pour personne que la République tunisienne fonctionne sur le modèle d’un régime parlementaire et que le président dispose de prérogatives limitées. Le président n’a pas vraiment la capacité d’intervenir directement sur le quotidien des Tunisiens. Au cas où il voudrait le faire, il devrait obligatoirement passer par le parlement (point de passage obligé en matière de législation) pour faire voter une loi.

Et, si l’on tient compte de la corruptibilité et de la volatilité des députés, si l’on tient compte du morcellement parlementaire, des tiraillements politiques, des négociations intéressées, des promesses, des compromissions futures, de la pression de la rue, des différents groupes de pression etc., le président s’engagera dans un labyrinthe sans issue après chaque initiative parlementaire et sera condamné au sort de Sisyphe. Si le futur président de la République réussit à faire cinq lois durant son mandat, à raison d’une loi par an, ce sera un miracle.

Je pense que les Tunisiens, à commencer par les journalistes, tiennent à ce que ce débat ait lieu pour les raisons suivantes :

– En imitant les puissances qui les ont toujours fascinés, notamment la France et les Etats-Unis, les Tunisiens auront l’impression de vivre dans un pays civilisé et réellement démocratique.

– Au lendemain du débat, les Tunisiens pourront s’adonner à l’autocélébration traditionnelle, se gonfler d’orgueil, faire la roue devant les arriérés de Bougnouland et commencer toutes leurs phrases par : « De tous les pays arabes, seule la Tunisie a… » ; « La Tunisie est le seul pays du monde arabo-musulman à avoir… » ; « L’exception tunisienne et le génie tunisien reposent, en fait, sur… »

Comme les Tunisiens ont un goût prononcé pour la castagne et comme ils ne cachent pas leur plaisir face au spectacle de gens qui se rabaissent et s’humilient mutuellement, ils suivront les débats en vitupérant contre les uns et en applaudissant les autres. Les candidats aux élections sont perçus comme des fauves en cage, des gladiateurs qui s’apprêtent à se produire dans des spectacles de combats armés.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore qu’il est inutile d’énumérer, il devient absurde d’organiser trois débats télévisés incluant vingt-six candidats à une fonction qui s’est vue grandement amputée lors de la rédaction de la nouvelle constitution. Ce débat ne rime absolument à rien, à part l’envie de faire de l’esbroufe et le plaisir du spectacle.

P.-S. : Je ne veux pas passer pour un rabat-joie à cause de ce statut, mais comme le président de la République ne dispose désormais que de prérogatives limitées, l’idée du débat ne m’a pas convaincu dès le départ.

Pierrot LeFou