Tunisie : les Destouriens à la recherche de leur saint

Mansour Mhenni

Mansour Mhenni

J’ai suivi dernièrement un échange animé et intéressant sur les réseaux sociaux entre les « destouriens », en rapport à leur passé, leur présent et leur avenir. Il y apparaissait un souci sincère, même si improvisé pour l’essentiel, de procéder à une évaluation du passé dans l’espoir d’en tirer les leçons qui se devraient pour une réédification de l’avenir.
Il faut reconnaître que les médias nationaux, publics et privés, semblent s’être entendus pour réduire autant que possible la présence de « cette catégorie politique », sa visibilité et son expression, même si le label du changement qui s’opère en Tunisie prétend se faire au nom de la libre expression. Il suffirait, pour s’en convaincre, de procéder à une comparaison entre la présence d’un parti comme Al Moubadara et d’autres partis d’égale ou de moindre représentativité à l’ARP. Autant dire que certaines figures politiques tendent à devenir des habituées, voire des stars, des plateaux et des studios médiatiques.
Sans doute donc est-ce pour cela que les « destouriens » recourent souvent à facebook pour informer et pour communiquer, s’accommodant ainsi d’une situation où, croient-ils, « les partenaires et les complices d’hier leur tournent le dos, parfois contre toute éthique, pour aller voir leur intérêt ailleurs ». N’empêchent que même là, sur facebook, peut-être pour cette raison aussi, leurs débats penchent vite vers les divergences que vers les voies du regroupement. La plupart des questions sont donc souvent ramenées à « Qui a donné le nom de RCD au parti destourien, en 1988 ? », « Quelles sont les intentions profondes de cet (ces) auteur(s) ? », « Quels sont les vrais traitres et quels sont les fidèles ? », « Qui a le droit de parler au nom du bourguibisme et qui ne l’a pas ? », etc.
Voilà, à un moment où tous les partis, même ceux qui ont essuyé les pires revers lors des élections de 2014, s’appliquent à renaître de leurs cendres en essayant de dépasser leurs conflits internes et en cherchant plus ce qui les unirait que ce qui les séparerait, les destouriens continuent de prêcher, chacun dans son petit mausolée politique, avec la prétention de détenir à lui seul, au plus avec les siens les plus proches, la clé de la vérité. Le plus beau, c’est que tous disent qu’en évoquant ces zones de divergence, voire de tension, ne voudraient pas diviser la famille destourienne. Démagogie oblige ?
A mon humble avis, certaines conditions sont impératives pour toute stratégie sincère de recomposition d’une large base et d’une structure solide d’obédience destourienne, partant de la conviction que la question destourienne concerne tous les citoyens tunisiens et sa reconstitution devrait se percevoir, par les différents acteurs politiques d’inspiration civile, comme une justice rendue et une opportunité heureuse pour la Tunisie d’aujourd’hui et demain. Pure manipulation et malicieuse démagogie que celles prétendant qu’on ne peut rien faire de nouveau avec les actants du passé, d’abord parce que nul n’a un avenir s’il ne sait tirer profit de son passé, ensuite parce que la plupart de ceux qui le disent sont directement ou indirectement, d’une façon ou d’une autre, des acteurs du passé ! Ainsi, les points à trancher seraient les suivants :
1 – Arrêter de spéculer sur Bourguiba comme la propriété privée de quiconque. Bourguiba, c’est la Tunisie et tout Tunisien, à titre individuel ou partisan, peut enrichir ses références de l’apport bourguibien en tant que penseur pragmatique du réformisme progressiste tunisien.
2 – Repenser la reconstruction de la destourianité sur une logique partisane, conformément aux nouvelles modalités en cours, et reformuler la plateforme intellectuelle et les principes de base pour cette mouvance politique, en réactualisant les idées, les projets et les stratégies du passé de façon à les adapter aux conditions du présent et aux ambitions futures.
3 – Renoncer à tout personnalisme, donc à tout narcissisme d’abord, mais aussi à tout clanisme, corporatisme ou régionalisme, et envisager la réunification en termes collectifs et concertés.
4 – Se reconnaître, explicitement, du rapprochement et non de la rivalité, avec les partis et tendances qui seraient de même ou de semblable inspiration. De ce fait, les destouriens ne sauraient se positionner en rupture, par exemple, ni même en distanciation radicale, avec des partis comme Nidaa Tounès, Machrou3 Tounès et même Afek, voire d’autres sensibilités qui trouveraient, sincèrement, dans le patrimoine bourguibien, des éléments solides pour leur référentiel politique.
Cela dit, il restera aux plus présents sur le terrain de cette lutte destourien, en l’occurrence les partis de Mohamed Jgham, de Kamel Morjane et de Abir Moussi (dans l’ordre de leurs constitutions respectives) d’agir en conséquence, s’il veulent, comme ont su le faire les grandes personnalités historiques, patriotes d’abord politiques ensuite, marquer l’histoire et infléchir l’évolution de leur société dans le sens du progrès.

Mansour Mhenni

Illustration haut de page : réunion du Parti destourien libre présidée par Abir Moussi