Trump demande aux Européens de reprendre leurs centaines de djihadistes de Syrie

A mesure que l’organisation terroriste Daesh recule, la question des djihadistes venus d’Europe et faits prisonniers demeure épineuse. Après avoir décidé du retrait des Etats-Unis de Syrie, Donald Trump exhorte désormais les Européens à récupérer leurs ressortissants.

Le retrait des troupes américaines, annoncé par le président américain en décembre dernier, se révèle toujours plus problématique pour les alliés stratégiques de Washington. Alors que Daesh recule dans le Nord-Est de la Syrie et que la coalition arabo-kurde capture des centaines de djihadistes, Donald Trump a renvoyé les belligérants européens à leurs responsabilités. «Les Etats-Unis ont demandé au Royaume-Uni, la France, l’Allemagne […] de reprendre plus de 800 combattants de l’Etat islamique ( Daesh ) que nous avons capturé et de les juger», a-t-il déclaré sur son compte Twitter le 17 février expliquant que dans le cas contraire, les Etats-Unis seraient «forcés de les libérer».

« The United States is asking Britain, France, Germany and other European allies to take back over 800 ISIS fighters that we captured in Syria and put them on trial. The Caliphate is ready to fall. The alternative is not a good one in that we will be forced to release them…..« 

«Les Etats-Unis ne veulent pas que ces combattants de l’EI se répandent en Europe où ils devraient se rendre», a poursuivi Donald Trump, estimant qu’il était désormais temps que les alliés de Washington «fassent le travail»

« The U.S. does not want to watch as these ISIS fighters permeate Europe, which is where they are expected to go. We do so much, and spend so much – Time for others to step up and do the job that they are so capable of doing. We are pulling back after 100% Caliphate victory! »

De fait, l’administration semi-autonome kurde qui contrôle le nord-est de la Syrie refuse de juger les étrangers et réclame leur renvoi vers leurs pays d’origine. Mais les puissances occidentales se montrent globalement réticentes, face à l’hostilité d’une partie de leurs opinions publiques.

Ce même jour, le secrétaire d’Etat français à l’Intérieur, Laurent Nunez, a été contraint de répondre à l’injonction de Donald Trump. «Ce sont les Kurdes qui les détiennent [les djihadistes français] et nous avons toute confiance dans leur capacité à les maintenir [en détention]», a-t-il répliqué, cité par l’AFP. Le 29 janvier dernier, le gouvernement avait dû démentir une information de BFMTV selon laquelle quelque 130 djihadistes français, détenus dans des camps en Syrie sous la surveillance des Kurdes, seraient rapatriés en France.

Berlin reconnaît un droit au retour

Les Allemands qui ont combattu dans les rangs de l’Etat islamique en Syrie ont le droit de rentrer dans leur pays, a déclaré ce lundi un porte-parole du ministère de l’Intérieur à Berlin.
« Tous les citoyens allemands, y compris ceux qui sont soupçonnés d’avoir été membres de l’Etat islamique, ont le droit fondamental » de revenir en Allemagne, a-t-il déclaré à la presse.
Berlin, a-t-il ajouté, est en contact étroits avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France à ce sujet.

« Ce n’est clairement pas aussi simple que ne l’affirment les Etats-Unis », a cependant déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, lors d’une réunion avec ses homologues de l’UE à Bruxelles. « Ces personnes pourront venir en Allemagne uniquement si nous pouvons garantir qu’elles seront immédiatement placées en détention. La façon dont tout cela sera garanti n’est pas claire à mes yeux. »
« Nous faisons tout notre possible pour enfermer ces personnes. Je ne peux pas comprendre cette annonce de Trump », a réagi la ministre autrichienne des Affaires étrangères, Karin Kneissel.
Le ministre belge de la Justice, Koen Geens, a plaidé dimanche pour une approche européenne de la question.

Bombes à retardement 

Avec l’aide des Etats-Unis, les Forces démocratiques syriennes ( FSD ) , dominées par les combattants kurdes, sont sur le point de réduire la dernière poche du groupe terroriste Daesh dans l’est de la Syrie.
Abdulkarim Omar, co-responsable des relations internationales du Rojava, a déclaré que les combattants de l’Etat islamique (EI ou Daesh) détenus par les Kurdes étaient pour l’instant au nombre d’environ 800, auxquels s’ajoutent quelque 700 femmes et 1.500 enfants dans des camps pour déplacés, mais que des dizaines d’autres détenus et leurs proches arrivent chaque jour.
Une cinquantaine de nationalités sont représentées parmi ces djihadistes, a précisé le responsable kurde.
« Nous ne les relâcherons pas. Jamais nous ne pourrions faire cela », a affirmé Abdulkarim Omar.
Mais, a-t-il ajouté, ces prisonniers sont une « bombe à retardement » et pourraient s’évader à la faveur d’un assaut de
la Turquie contre la zone autonome. Ankara considère les YPG (Unités de protection du peuple), les milices kurdes du nord de la Syrie, comme un groupe terroriste et menace régulièrement de les attaquer.
« Il semble que la plupart des pays ont décidé qu’ils en avaient fini avec eux et de les laisser là. Mais c’est une très grave erreur », a souligné le responsable kurde.

Le Royaume-Uni rejette l’appel de Trump

De son côté, Londres refuse toute pression de Washington. Le pays estime que les combattants étrangers de l’organisation djihadiste devraient être jugés là où les crimes ont été commis. « Les combattants étrangers devraient être traduits en justice conformément à la procédure légale adéquate dans la juridiction la plus appropriée », a déclaré un porte-parole de la première ministre, Theresa May. « Quand c’est possible, cela devrait avoir lieu dans la région où les crimes ont été commis », a-t-il ajouté.

L’Autriche déplore des difficultés pratiques

L’Autriche, qui compterait une trentaine de combattants djihadistes en Syrie, a mis en avant les difficultés pratiques des rapatriements demandés par le président des Etats-Unis. « On parle d’une zone de conflit, et nous ne pouvons rien faire qui mette nos propres collègues en danger », a fait valoir le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Peter Guschelbauer.

La Suède refuse le retour de ses ressortissants

La Suède, dont une centaine de ressortissants ayant pris les armes dans les rangs de l’Etat islamique sont concernés, ne veut pas les voir rentrer sur son territoire national. « Les Suédois de l’EI qui ont commis des crimes doivent en priorité être jugés dans les pays où ils se trouvent », a prévenu lundi le ministre de l’Intérieur, Mikael Damberg.

La Suède est, de fait, très en retard sur le plan pénal. Le fait de partir rejoindre une organisation terroriste ne tombe sous le coup de la loi que depuis 2016, soit avant les grands départs de 2014 et 2015, et le crime consistant à appartenir à une organisation terroriste ne doit être créé que cette année. Si Stockholm rapatriait ses ressortissants, la justice suédoise n’aurait pas les moyens de les juger.

La justice belge se prononce 

Le parquet fédéral belge met en garde contre des difficultés qui pourraient se présenter lors du retour en Belgique de combattants de l’Etat islamique qui n’ont pas encore été condamnés par défaut.

«Certains de ces djihadistes ont été condamnés par contumace. Ils devront donc être immédiatement conduits en prison. Ils pourront interjeter appel et se retrouver à nouveau devant les tribunaux», explique le parquet au Tijd. «Les autres, qui n’ont pas été jugés, devront être présentés à un juge d’instruction. Le parquet leur demandera de les placer sous mandat d’arrêt et de poursuivre leurs enquêtes. Mais pour la majorité, des preuves doivent encore être rassemblées. Nous pouvons difficilement envoyer des enquêteurs sur place.»

Le parquet souligne que «le retour des combattants de l’étranger est une question politique. Nous n’avons pas de conseils à donner sur la question. Nous sommes prêts à gérer toutes les procédures si ces combattants sont ramenés en Belgique.»

« Pas de solution au niveau de l’Union européenne »

La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a annoncé, à la suite d’une réunion des ministres des affaires étrangères des pays de l’Union européenne à Bruxelles consacrée notamment à la situation en Syrie, qu’il n’y « aura pas de décision au niveau de l’Union européenne. Elle relève de la compétence de chaque gouvernement ». La voie retenue serait donc celle de la coordination, qui serait facilitée par une « réflexion commune » entre les Etats membres. Mme Mogherini adressait ainsi une fin de non-recevoir au ministre de la justice belge, Koen Geens, qui avait réclamé dès dimanche une « solution européenne », appelant à « réfléchir tranquillement et regarder ce qui comporte le moins de risques sécuritaires ».

Sur les plus de 5.000 Européens – majoritairement originaires de Grande-Bretagne, France, Allemagne et Belgique -qui ont rejoint les rangs de Daesh en Irak et en Syrie, environ 1.500 ont regagné leur pays, selon les estimations d’Europol.

 

Avec agences