Tension en Libye : Moscou appelle à un règlement «pacifique et politique» du conflit

Le Kremlin a mis en garde contre une «reprise du bain de sang» suite à l’offensive lancée par les forces pro-Haftar vers Tripoli, où siège le gouvernement d’union nationale de Fayez el-Sarraj. Le Conseil de sécurité de l’ONU va se réunir en urgence.

Alors que la situation est pour le moins chaotique en Libye, où l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar a lancé le 4 avril une offensive contre Tripoli, qui est aux mains du gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj, Moscou cherche à désamorcer le conflit.

«Nous estimons que le plus important est qu’aucune action ne conduise à la reprise du bain de sang», a ainsi déclaré face à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov ce 5 avril. «Nous estimons indispensable de poursuivre tous les efforts possibles pour une résolution complète de la situation avec des moyens politiques et pacifiques», a-t-il ajouté.

Dmitri Peskov a par ailleurs souligné que Moscou ne participait «d’aucune manière» au soutien militaire des troupes du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen. Face au risque d’embrasement, le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir en fin de journée en urgence à la demande du Royaume-Uni, pour discuter de la Libye, après des appels internationaux à la retenue, selon des diplomates. Washington, Paris, Londres, Rome et Abou Dhabi ont en effet également appelé «toutes les parties» à faire baisser «immédiatement les tensions».

Au terme d’une visite de trois jours en Libye, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a pour sa part exprimé «sa profonde inquiétude» ce 5 avril. J«e quitte la Libye avec une profonde inquiétude et un cœur lourd», a-t-il déclaré à des journalistes à l’aéroport de Benghazi, peu après une rencontre avec le maréchal Haftar. Le diplomate a toutefois expliqué qu’il espérait toujours qu’il soit possible «d’éviter une confrontation sanglante à Tripoli et dans ses environs». La veille, Antonio Guterres avait rencontré à Tripoli Fayez el-Sarraj.

Offensive stoppée à Tripoli

Le 4 avril, un convoi armé du maréchal Haftar a pris position à 27 km de Tripoli, après s’être emparé d’un barrage à l’entrée ouest de la capitale libyenne. Mais dès le lendemain à l’aube, une milice originaire de la ville de Zawiya, située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de ce barrage, a repris cette position après un «court accrochage», a indiqué une source de sécurité à Tripoli. Après la reprise du barrage, des dizaines de combattants de l’ANL ont été faits prisonniers et leurs véhicules ont été saisis, selon cette source de sécurité.

Le gouvernement d’union nationale, reconnu par la communauté internationale, avait donné l’ordre aux forces qui le soutiennent de «faire face à toute menace». La force de protection de Tripoli, une coalition de milices tripolitaines, a indiqué avoir participé à la reprise du barrage après avoir annoncé une contre-offensive visant à stopper l’avancée de l’ANL.

Elle a donné le nom de «Ouadi Doum 2» à l’opération, en allusion à la défaite en 1987 du maréchal Haftar, alors officier du général Kadhafi, dans la région de Ouadi Doum sur la bande d’Aouzou, à la frontière du Tchad.

Le maréchal Khalifa Haftar en quête de pouvoir

Bête noire des islamistes, Khalifa Haftar a réussi en 2017 à mettre la main sur la région orientale du pays après une opération déclenchée en 2014 et baptisée «Dignité», contre les groupes djihadistes à Benghazi, la grande ville de l’Est. Il a ensuite lancé une offensive contre Derna, seule ville échappant à son contrôle en Cyrénaïque.

Fin juin 2018, il a finalement annoncé sa «libération» des groupes radicaux. Puis en janvier dernier, il a lancé une opération visant à conquérir le sud désertique riche en pétrole et s’est emparé sans combats de Sebha, chef-lieu du Sud, et d’un important champ pétrolier.

Originaire de Cyrénaïque, Khalifa Haftar est sorti de l’ombre au début de la révolte contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011 à laquelle il a pris part. Quatre décennies plus tôt, ce soldat formé dans l’ancienne Union soviétique avait adhéré au coup d’Etat militaire de 1969 qui avait renversé la monarchie des Senoussi et porté Kadhafi au pouvoir.

Il participe à la guerre tchado-libyenne (1978-1987) à la tête d’une unité mais est fait prisonnier à Ouadi Doum, sur la bande d’Aouzou, à la frontière du Tchad. Khalifa Haftar est alors lâché par Mouammar Kadhafi, qui affirme qu’il ne fait pas partie de son armée.

Soutiens étrangers ?

Les Américains parviennent à le libérer de prison lors d’une opération qui reste aujourd’hui encore une énigme, et lui accordent l’asile politique. Aux Etats-Unis, il rejoint le mouvement de l’opposition libyenne et retourne à Benghazi en mars 2011. Peu après la chute du général Kadhafi, environ 150 officiers et sous-officiers le proclament chef d’état-major, une nomination jamais officialisée.

Selon ses détracteurs, Khalifa Haftar doit ses succès militaires au soutien, non déclaré, de pays étrangers, comme les Emirats arabes unis, l’Egypte ou encore la France et plus récemment l’Arabie saoudite. La France avait dû annoncer la mort de trois de ses militaires dans un accident d’hélicoptère en Libye, où ils menaient une mission de renseignement auprès de forces du maréchal Haftar.

Cette présence a été considérée comme une «ingérence inacceptable» par Fayez el-Sarraj, dont le gouvernement s’est implanté à Tripoli en 2016 avec le soutien de l’ONU et des pays occidentaux, dont la France. Mais le GNA, soutenu par des milices de l’ouest du pays, n’est pas reconnu par les autorités de l’Est, en particulier le parlement élu en 2014, qui a donné sa légitimité à Khalifa Haftar et l’a promu maréchal.

Avec agences