Ouverture d’une enquête judiciaire sur les activités du groupe LafargeHolcim en Syrie

le-groupe-lafarge-terrorismeEn France, une information judiciaire est ouverte et trois juges d’instruction nommés pour faire la lumière sur les activités du cimentier LafargeHolcim en Syrie en 2013 et en 2014 en pleine guerre. La société franco-suisse est soupçonnée d’avoir financé indirectement des groupes armés, dont l’organisation Etat islamique, pour poursuivre ses activités. L’information judiciaire ouverte vendredi dernier vise les chefs de « financement d’entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui ».

A l’époque des faits – en 2013 et 2014 -, l’entité française de l’actuel groupe LafargeHolcim (né de la fusion du Français Lafarge et du Suisse Holcim en 2015) gère via une filiale la cimenterie de Jalabiya dans le Nord-est syrien, comme elle le fait depuis 2007. Sauf qu’on est alors en pleine guerre et que les jihadistes prennent le dessus dans la zone. Pour autant, l’usine ne s’arrête pas de tourner. Progressivement, l’organisation terroriste Daech s’impose dans la région. Les médias ont révélé que des intermédiaires sont alors payés pour permettre aux camions de l’entreprise de circuler, finançant ainsi indirectement le groupe terroriste. Et cela, jusqu’à la fin de l’activité de l’usine en 2014.

Enquête préliminaire

En 2016, une enquête est ouverte en France à la suite d’une plainte du ministère de l’Economie et d’une autre de l’ONG Sherpa. Sherpa présente des témoignages d’anciens employés de l’usine de Jalabiya, dont la presse s’est fait l’écho. Ces témoignages évoquent des faits « de financement de terrorisme » et de « complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre ». L’enquête préliminaire ouverte dans la foulée va dans ce sens. Elle pointe des faits de « financement d’entreprise terroriste ».

Enquête interne

Au sein du groupe LafargeHolcim, l’affaire fait quelques vagues. Il y a eu ouverture d’une enquête interne qui a rendu des conclusions assez fortes en mars dernier : « des mesures inacceptables ont été prises en Syrie et des dirigeants du groupe étaient au courant que les codes de conduite avaient été enfreints », admet le groupe. Pour autant, elle ne va pas jusqu’à sanctionner les dirigeants de l’époque. Au contraire, ils sont dédouanés par l’enquête. Mais le PDG Eric Olsen a démissionné en avril dernier, ce que l’ONG Sherpa analyse comme des « pas significatifs de l’entreprise vers la reconnaissance de sa responsabilité ». Aujourd’hui, LafargeHolcim, qui s’est toujours dit prêt à collaborer avec la justice affirme ne pas avoir « été contacté par le Parquet de Paris ». Et d’ajouter qu’il « coopérera bien entendu avec la justice s’il est sollicité ».

Une situation inédite

La question se pose : qu’encourt le groupe Lafarge si l’instruction conclut à sa responsabilité? Pour le volet terroriste de l’affaire, dont les investigations seront menées par le Pôle antiterroriste, le cas est inédit. On ne parle pas seulement de cas d’individus soupçonnés d’avoir financé le terrorisme, mais d’un grand groupe. Pour l’avocate de Sherpa, Me Marie Dosé, la plainte vise non seulement la personne morale de « LafargeHolcim », mais aussi « toute personne physique dont la responsabilité pourra être démontrée par l’instruction ». Et d’après le Code pénal français, verser des fonds à un tiers, en sachant qu’ils seront destinés à être utilisés pour des actes terroristes entraînant la mort, est passible de la réclusion criminelle à perpétuité et de 750 000 euros d’amendes. Enfin, il y a les faits présumés de « soumission à des conditions de travail incompatibles avec la dignité de l’homme ». Autrement dit, du fait que la filiale de Lafarge en Syrie aurait fait courir un danger mortel à ses employés dans une région où les combats faisaient rage, les responsables de la société encourraient cinq ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

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