NON Lotfi Zitoun, trop grosse votre couleuvre…

Qui l’eût cru…le conseiller politique de R.Ghannouchi, le rare des plus rares à avoir l’écoute du Cheikh, quitte sans discrétion la réunion du Conseil de la Choura (les sages) pour annoncer que le parti Ennahdha doit procéder à une métamorphose totale et à renoncer totalement et définitivement à son référenciel religieux?
Et davantage… Le Monsieur appelle à ce que son parti devienne «un parti civil, libéral, patriotique», n’hésite pas à critiquer les méthodes de son parti et veut que plus jamais la religion ne soit accaparée par une formation politique pour être utilisée comme repère ou comme outil électoral, admettant -enfin- que l’Islam n’est le propre de personne. Le monsieur, dans un retournement total, explique dans les journaux, sur les ondes et les plateaux qu’il est de ceux qui ont assez de lucidité, de courage et d’«indépendance» pour ne pas craindre de revoir ses idées, ses valeurs, ses convictions et ses positions.
Fort, exceptionnel, grandiose et inimaginable. Lotfi Zitoun veut tout simplement tuer sa Nahdha et dénuder son chef de sa seule couverture : l’ascendant religieux.

Je ne saurais le croire Si Lotfi… Voici pourquoi.

– Vous savez mieux que quiconque que votre parti n’a aucun poids s’il renonce à s’appuyer sur l’essence même de son existence, l’Islam et sa soit disant défense.

– La manière fracassante et sur-médiatisée de cette «sortie» qui contraste avec le principe immuable d’Ennahdha -c’est sa force- et qui consiste en la discipline de fer à laquelle tous ses adhérents doivent se plier. On n’exprime en public que ce qui a été convenu au sein du directoire ; y compris les propos qui semblent contradictoires, mais qui sont savamment préparés à l’avance, en application de sa politique de dire la chose et son contraire. Un exercice où il excelle.

L’évidence du timing et la peur du pire 

Il est donc quasi impossible qu’un nahdhaoui, fût-il Zitoun, puisse exprimer un avis contraire à celui du Cheikh, sans subir le bannissement. Que dire alors de ce tsunami que préconise le conseiller politique de Ghannouchi, où le parti laissera des plumes par la perte des voix dont l’adhésion ne tient qu’à l’idée que ce parti est le défenseur de l’Islam?
Pourquoi alors ce douloureux sacrifice qui ne peut être décidé par le seul Zitoun, dont la fidélité au chef et au mouvement ne souffre pas le moindre doute?
Avant d’essayer de répondre à cette interrogation, relevons l’intelligent «dosage» de Rached Ghannouchi. En choisissant un poids lourd mais relativement modéré et beau parleur pour exprimer cette volte-face, il fait parvenir le sérieux de l’initiative, sans aller jusqu’à l’officialiser. Ce faisant, il atténue le choc et sa résonance, donne le temps à l’idée de faire son chemin pour en évaluer les effets, tout en se réservant la latitude de se l approprier ou de la renier, selon le cours que prendront les événements.

On s’interrogeait sur les raisons de cette volonté annoncée en vue d’une refonte -périlleuse- du parti et pourquoi aujourd’hui?

Depuis trois mois, l’étau se resserrait autour du cou d’Ennhdha, par essentiellement les manoeuvres assassines, mais en finesse, du président de la République qui a décidé de la lâcher, en apportant du crédit (peut être même quelque tuyaux) à l’action du Comité de défense de Belaïd et Brahmi. Cela a refait rejaillir les affaires des assassinats politiques, les réseaux de sécurité parallèle, le recrutement des candidats au jihad…avec un notable changement : les éléments impliquant Ennahdha se sont très vite accumulés sous forme sinon de preuves, du moins de solides présomptions.
Les phrases insidieuses et à l’effet fracassant que le vieux renard lançait, comme «je croyais à leur modération; j avoue que je me suis trompé», achevaient l’oeuvre et acculaient ses alliés d’hier dans un petit angle et surtout, les isolaient à l étranger, particulièrement en Occident, où la tendance est désormais d’en découdre avec l islamisme politique. Même leur Erdogan a commencé à donner des signes de revirement en se rapprochant d’Essissi, l ennemi juré des islamistes, ce que Ennahdha n’a jamais caché. La récente extradition par Ankara vers le Caire d’un frère musulman, est un signe qui ne trompe pas. Et quand le Qatar subira assez de pression (par les États Unis surtout, ce qui ne saurait tarder, après le tollé mondial provoqué par les enfants de l’école coranique de Regueb), ils perdront tout soutien extérieur et la foudre s’abattra sur eux. Insidieusement, Béji C.Essebsi, très présent et bien écouté dans les joutes mondiales, peut souffler sur le feu et leur faire beaucoup de mal. Le Cheikh en est conscient et c est pourquoi l’un des aspects phares de l’initiative menée par Zitoun est d amadouer le vieux renard de Carthage et de le caresser dans le sens du poil.
Destinés à l’isolement total, voire à la disparition pure et simple, s’ils ne se débarrassent pas clairement de l étiquette islamiste, ils n ont plus d’autre alternative que de se plier à cette douloureuse solution qui reste meilleure que le pire et qui, de surcroît, peut leur permettre de souffler un peu et de détourner l’attention des dossiers qui leur brûlent la plante des pieds et qui, sans ses pions qui ont infesté tous les corps et toutes les institutions de l État, les auraient déjà transformés en charbon.

En définitive, une comédie à un seul comédien (Lotfi Zitoun) dans une mise en scène de Ghannouchi, mais sans aucune crédibilité et où tout sonne creux et faux. Vos frères et soeurs du mouvement ont tant dit et agi -jusqu’a ces derniers jours- dans le sens diamétralement opposé à celui que vous préconisez, Monsieur Zitoun, que la couleuvre est trop grosse pour pouvoir être avalée.

Avec votre bonne bouille, votre ton posé, votre calme olympien, votre ouverture stoïque aux critiques, vous avez bien tenté le coup, mais désolé, non! Ça ne passe vraiment pas

Slah Grichi