Naceur Ben Cheïkh redéfinit Bourguiba

Le mode de penser bourguibien, sur fond de mystique, se situe au-delà de la nostalgie des uns et du déni revanchard des autres.

Que mes amis destouriens et mes amis de la gauche plurielle , pour lesquels j’étais politiquement invisible me pardonnent aujourd’hui de rendre plus claire une attitude que j’ai maintenue frontalière, durant près d’un demi siècle de pratique politique à caractère culturel et peu politicien. Vers les débuts des années quatre vingts, j’étais éditorialiste du quotidien l’Action, organe du Parti Socialiste destourien au pouvoir. J’ai développé une ligne éditoriale qui m’était propre, sans qu’aucun de mes responsables politiques n’y trouve à redire. Et ce, pour deux raisons . la première, c’est qu’ils étaient tous occupés par la guerre de succession d’un vieux Président que l’on avait idolâtré en « Combattant Suprême »et ramené sa pensée complexe à une « politique des étapes » et à un « extrémisme du milieu ». La seconde raison est que j’étais lu au quotidien, par Bourguiba que je qualifiais sincèrement d’intellectuel organique gramscien, poussant l’écart par rapport à l’idéologie officielle du Parti jusqu’à remplacer dans mes éditoriaux le qualificatif de « Combattant Suprême » par El Moujahed El Akbar » en précisant que Bourguiba n’est pas le plus grand des combattants mais l’intellectuel Chef d’Etat qui avait une vision progressiste de l’Islam et appelait tous les Tunisiens à pratiquer Al Jihâd Al Akbar. Le Suprême n’était pas Bourguiba mais le Combat qu’il nous invitait à entreprendre pour éradiquer l’ignorance et les égoïsmes sacrés. Et l’on sait que ce Bourguiba intellectuel progressiste , plutôt mystique que laïque sera enseveli, sous les couches successives d’idéologies parfois contradictoires qui prendront en charge la production d’un discours de légitimation de l’exercice d’un pouvoir de parti unique, avec une référence non dite au système stalinien, pour la gestion politique et de libéralisme, parfois sauvage, en matière de gestion économique. Aujourd’hui plus que jamais, la Tunisie a besoin de refondre l’héritage Bourguiba dans son appartenance historique de gauche avec le progressisme révolutionnaire qui a été développé par la gauche nationaliste tunisienne durant la lutte de libération nationale. Cela exige de la part de tous une « autocritique » objective et non coupable des erreurs passées et actuelles des uns et des autres, en vue de libérer l’héritage Bourguiba des populismes « destouriens » fascisant et la gauche nationaliste des visions politiciennes auto-marginalisantes qui ont privé la Tunisie de la participation effective de ses élites de gauche à l’édification de son Etat moderne.

Professeur Naceur Ben Cheïkh

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