Les parlementaires turcs ont adopté ce jeudi un projet de loi permettant au Président Erdogan d’envoyer des militaires en Libye pour soutenir le gouvernement d’union nationale.
Lors d’une session parlementaire extraordinaire, 325 députés ont voté pour et 184 contre ce texte qui donne à l’armée turque un mandat pour intervenir en Libye, valable pendant un an, a indiqué le président de l’Assemblée nationale turque Mustafa Sentop.
Le projet de loi soumis au parlement lundi 30 décembre a été appuyé par les membres du Parti de la justice et du développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan, ainsi que par le Parti d’action nationaliste (MHP). Parmi les députés opposés à l’envoi de troupes en Libye figurent ceux du Parti républicain du peuple (CHP), du Bon Parti (IYI), du Parti de la félicité (SP) et du Parti démocratique des peuples (HDP).
Reste à savoir désormais si le président Erdogan, à qui il appartient de décider, va effectivement dépêcher des troupes dans ce pays séparé de la Turquie par la Méditerranée, ou si le soutien militaire prendra une autre forme, comme l’envoi de « conseillers ».
Le gouvernement turc affirme agir en réponse à un appel à l’aide du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, confronté à une offensive de l’homme fort de l’Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, qui s’efforce de prendre Tripoli.
Le GNA avait officiellement demandé le 26 décembre l’aide militaire «aérienne, terrestre et maritime» de la Turquie pour faire face à l’avancée de l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar.
Escalade annoncée
L’envoi de troupes turques en Libye risquerait d’aggraver les conflits fratricides qui déchirent ce pays depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, alimentés par des puissances régionales.
La Libye est en effet devenue le théâtre d’une lutte d’influence entre deux camps: d’un côté, la Turquie et le Qatar, qui appuient le GNA; de l’autre, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte, qui soutiennent les forces de Haftar.
Le vote du Parlement turc jeudi s’inscrit dans le cadre d’un rapprochement entre Ankara et le GNA, illustré par un accord de coopération militaire et sécuritaire et un accord controversé de délimitation maritime conclus fin novembre entre Erdogan et Sarraj.
Le chef de l’Etat turc a plusieurs fois déclaré que son pays était déterminé à aider militairement le GNA de Fayez Sarraj, reconnu par les Nations unies, mais n’a pas clairement affirmé que des troupes combattantes turques seraient déployées.
Mercredi, le vice-président turc Fuat Oktay a affirmé que l’armée turque était « prête » mais a souligné que la nature et l’ampleur du déploiement seraient déterminées par « les développements au sol ».
Dissuasion
M. Oktay a ajouté qu’Ankara espérait que l’adoption du texte jeudi aurait un effet dissuasif. « Après le vote, si l’autre camp (pro-Haftar) change d’attitude et dit +On se retire, on arrête l’offensive+, alors pourquoi y aller? », a-t-il ainsi déclaré.
Les principaux partis d’opposition ont voté contre le texte adopté jeudi, arguant qu’une intervention en Libye pourrait déstabiliser la région et entraîner la Turquie, qui a perdu plusieurs dizaines de soldats en Syrie, dans un nouveau bourbier.
Outre les difficultés propres au déploiement de troupes dans un pays qui n’est pas frontalier, contrairement à la Syrie où Ankara intervient actuellement, un déploiement en Libye s’accompagnerait d’un risque d’incident avec la Russie.
Même si Moscou dément, l’émissaire de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé, et le président Erdogan affirment que des mercenaires russes sont engagés aux côtés des forces de Haftar qui s’efforcent depuis avril de s’emparer de Tripoli.
Le président Vladimir Poutine doit se rendre mercredi prochain en Turquie pour inaugurer un gazoduc avec son homologue turc, l’occasion pour les deux dirigeants de parler du dossier libyen.
Le soutien de la Turquie à Fayez Sarraj s’inscrit dans le cadre de l’affirmation croissante d’Ankara en Méditerranée orientale, théâtre d’une course aux forages d’hydrocarbures avec la découverte d’importants gisements ces dernières années.
En raison de l’accord maritime conclu en novembre qui étend considérablement son plateau continental, la Turquie a plus que jamais besoin du GNA pour faire valoir ses revendications en Méditerranée orientale où plusieurs pays comme la Grèce, Chypre et l’Egypte font front commun face aux initiatives turques.
Les accords signés entre Ankara et Tripoli représentent une « nette escalade du conflit », a estimé M. Salamé dans un entretien publié cette semaine dans le quotidien français Le Monde.
Le vote au Parlement turc était initialement prévu la semaine prochaine mais le gouvernement a décidé de l’avancer en raison des difficultés rencontrées par le GNA à Tripoli, où l’offensive des forces pro-Haftar a redoublé d’intensité.
Quelles implications suite à la décision d’envoi de troupes turques en Libye?
Aujourd’hui 2 janvier 2020, le parlement turc dans une session extraordinaire a autorisé l’envoi de troupe en Libye pour répondre à la demande du gouvernement libyen, lié à la Turquie par un accord de défense et de partage de zones d’influences maritimes.
Pour bien comprendre les conséquences de ce qui se passe en Libye, il faut d’abord comprendre qu’il n’y a pas de guerre civile généralisée, ou un pays divisé en deux parties égales avec une ligne de démarcation où deux armées régulières se livrent bataille. Globalement l’ensemble de la Libye est contrôlé par la LNA du “maréchal” Khalifa Haftar. Ce ne fut pas le cas il y a une année, où ses forces ne tenaient que le littoral Est du pays et les zones pétrolières à l’Est. Le “GNA” Gouvernement de Tripoli,soutenu par des milices islamistes armées , lui ne contrôlait que le littoral Ouest et les installations pétrolières dans le Sud-Ouest. La majorité du pays était, et demeure, une sorte de no-man’s land sans autorité, infesté par des groupes armés d’origines et ethnies diverses souvent une émanation des pays riverains de la Libye.
En une année, les forces de Haftar ont conquis le Fezzan (le désert) et ont chassé les Toubous et les Soudanais qui s’y trouvaient, ont évité la confrontation avec les Touaregs et même de s’approcher de la frontière algérienne. Puis, le 3 avril 2019, se sont lancé dans un assaut inattendu vers la capitale Tripoli.
Aujourd’hui, la majorité du territoire est sous contrôle de la LNA. Les milices du GNA occupent Tripoli, Misrata et Al Zawiyah. Sous leur contrôle il ne reste plus qu’un aéroport, celui de Misrata et deux ports, garde tout de même le contrôle du poste frontalier de Ras Djedir avec la Tunisie. Cela représente environs 10% du territoire.
La guerre en elle-même ne concerne que Tripoli, la LNA ne menace même pas Misrata et les misratis ne semblent pas vouloir provoquer les forces de Haftar. La ligne de front est une bande de 25 Km sur 5 Km aux abords de la banlieue Sud de Tripoli. En dehors de ce minuscule chaudron, il n’y a pratiquement pas de combats en Libye.
Les combats et les hommes en armes sont encore loin de la Tunisie et à mille kilomètres de la frontière algérienne.
L’arrivée des miliciens syriens pro turcs est une menace pour la région dans le sens où il n’y a aucune garantie qu’ils n’aient pas appartenu à des organisations terroristes.
Le débarquement de l’armée turque pose problème pour la Turquie d’abord, vu que la Tunisie lui refuse momentanément son sol et qu’elle doit traverser les espaces aériens antagonistes de l’Egypte ou de la Grèce pour faire des opérations aériennes en Libye. Elle aura des difficulté pour assurer une couverture par les airs à ses troupes au sol et donc à protéger les équipements et infrastructures qu’elle déploiera.
Néanmoins, vu la petite dimension de la ligne de front et le peu d’engouement pour le combat que montrent les miliciens de la LNA, un simple envoi de forces spéciales pourrait inverser le cours des événements et stabiliser le front pour permettre une négociation sur de meilleurs bases pour le gouvernement Al Sarraj.
Le véritable risque serait une surenchère avec une intervention égyptienne et un agrandissement de la zone de combats. D’ailleurs, en ce moment même le conseil de sécurité égyptien se réunit pour faire face à la situation en Libye.
L’Algérie aussi s’est dit contre toute présence de forces étrangères en Libye