La défense des droits humains : cheval de bataille de la femme tunisienne

Comme partout ailleurs dans le monde, la femme tunisienne a une histoire. En effet, la Tunisie a donné naissance à des femmes célèbres dans des secteurs différents. Ainsi, El Kahena (664-701) a dirigé des armées contre les envahisseurs arabes, – Elissa, dite Didon, a été la première reine de Carthage (fin du IXième siècle avant J.C.), la princesse Aziza Othmana (1606) que Sophie Bessis décrit comme « …à la fois généreuse, compatissante et discrète », et qui a accordé le statut d’hommes libres à ses esclaves alors que l’esclavage était une pratique courante, ou encore, Arwa Al Himayariya qui, il y a plus de mille ans, avait obtenu que soit inscrit sur son acte de mariage que son mari ne pourrait ni épouser une seconde femme, ni avoir de concubine sans son consentement. Ceci a ouvert ainsi la voie à la monogamie qui devait être instaurée par Habib Bourguiba en 1956. Ce contrat est resté dans les annales comme le contrat de mariage kairouanais. . Toutes ces femmes et bien d’autres ont marqué l’histoire sociale de la Tunisie.
Dans l’époque que nous pourrons considérer moderne par rapport à ce riche passé, c’est-à-dire au début du 20ième siècle, la femme tunisienne vivait, dans l’intimité de son foyer et de sa famille. Elle était voilée et souvent analphabète. Celles qui avaient eu une forme d’éducation appartenaient à la bourgeoisie en général où à la classe aisée et elles étaient toutes voilées. Même les fenêtres de leurs maisons ne permettaient pas que l’on puisse voir leurs visages de l’extérieur. Ces femmes qui ont la chance d’avoir eu une formation grâce à un père, frère ou mari tolérant et ouvert sont celles qui ont voulu en faire bénéficier d’autres. Au début des années 20, les Jeunes filles musulmanes de Tunisie affirmaient que leur objectif était d’éduquer les jeunes tunisiennes en leur enseignant les vrais préceptes de l’Islam alors qu’elles se savaient étroitement surveillées par les forces coloniales. Elles ont pu collecter des fonds pour la création d’écoles pour filles qui apprenaient ainsi et le Coran et l’économie domestique. Mais tout en mettant toujours en avant leur appartenance à l’Islam, elles ont progressivement commencé à demander plus de libertés, liant ainsi leurs revendications à la religion. Cet enseignement allait progressivement leur ouvrir les portes du travail que Bourguiba allait ouvrir plus grandes encore avec la publication du CSP (Code du Statut Personnel) en 1956, dont le principe fondamental était l’égalité entre les hommes et les femmes, abolissant polygamie et répudiation, établissant le divorce judiciaire ainsi que bien d’autres droits qui allaient faire de la femme tunisienne une pionnière en matière de droits des femmes. Elle l’est encore aujourd’hui en 2017.
Cependant, ce CSP a été une initiative du Président Bourguiba et non pas une réponse à des manifestations de femmes d’où le nom de « féminisme d’Etat » qui lui a été donné et c’est probablement la raison même de sa faiblesse alors et aujourd’hui en 2017. La juriste activiste Hafidha Chekir déclare, Bourguiba a fait un cadeau aux femmes. Il a eu l’intelligence de le faire durant l’euphorie de l’indépendance, avec le soutien d’une bourgeoisie tolérante et à l’esprit ouvert, » (citée par Marsaud, 2006:112)
L’Etat sous Bourguiba comme sous Ben Ali a utilisé ces droits pour montrer au monde, et surtout à l’Occident, que contrairement aux autres pays musulmans, la Tunisie était un pays moderne, ce qui était jusqu’à une certaine mesure réconfortant pour les femmes mais pas assez. En effet, au cours des années 1980, des femmes universitaires de tous bords, ont choisi le Club Tahar Haddad, dirigé alors par Jalila Hafsia, au cœur de la médina de Tunis, pour discuter de leur situation de femmes dans un pays où la discrimination contre les femmes était encore présente. Ces réunions ont donné naissance en 1989, deux ans après le « soft » coup d’Etat de Ben Ali, aux deux premières ONG féminines autonomes, l’Association des Femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (AFTURD) et l’Association Tunisienne des femmes démocrates (ATFD) qui ont commencé le véritable travail sur leur condition de femmes et sur les discriminations dont elles demeuraient victimes malgré les droits acquis, établissant des réseaux avec les autres pays arabes comme le Liban, la Jordanie ou l’Egypte, mais surtout avec les pays voisins : l’Algérie, le Maroc, et plus récemment la Libye et la Mauritanie..
Malgré les interdictions formelles des signes religieux ostentatoires, le mouvement islamiste qui a suivi la révolution iranienne en 1979 s’est progressivement propagé dans le monde et bien sûr en Tunisie, aussi bien parmi les gens du peuple que parmi les classes aisées, foulards et tchadors étaient devenus de mise, transformant les modes de penser, de se comporter et d’agir ; un retour en arrière qui n’a que ceci de différent : alors qu’autrefois les femmes voilées prenaient la parole pour dénoncer les discriminations dont elles étaient victimes, réclamant entre autres choses, le droit de sortir sans le voile, les islamistes se sont mises à présenter le port du voile comme une obligation pour toutes les musulmanes. Ce mode de penser a explosé avec « la maladie de l’islam » titre d’un livre de Abdelwahab Meddeb car tuer au nom de l’Islam ou se faire exploser ne sont-ils pas une maladie ? Comme l’a déclaré le President Trump dans son allocution en Arabie Saoudite le 21 mai 2017, « Ce n’est pas Dieu que les terroristes adorent, mais la mort » !
La révolution avait été perçue comme annonciatrice de nouvelles libertés, mais les militantes tunisiennes ont dû vite déchanter car soudain, leur façon d’être, de paraître, de s’habiller, de vivre, allaient être remises en question malgré les droits solidement inscrits dans la Constitution de 2014, mais contredits par d’autres lois dans le code pénal, par ex. Il n’y avait plus une Tunisie mais deux, séparées par un profond fossé, les islamistes réclamant un retour à la charia qui n’a pratiquement jamais été appliquée en Tunisie, au voile, au niqab , à la polygamie, et à la séparation des sexes même dans les jardins d’enfants
Plus triste encore : des femmes (islamistes donc) demandèrent l’application de la charia, la séparation des sexes dans le travail, à l’école et même dans les jardins d’enfants et un retour à la polygamie. De ce fait, les militantes laïques n’avaient pas le choix sauf qu’elles ne devaient plus seulement demander comme prévu avant la révolution, à leur gouvernement de lever les réserves qu’il avait mises sur la CEDAW, mais également agir contre ces voix rétrogrades qui encourageaient à la radicalisation et au jihad. Ce courant religieux radical ne s’est pas attaqué uniquement aux droits des femmes, mais également aux noirs, aux homosexuels et aux non-musulmans. En fait, la religion musulmane étant la couleur de leurs revendications, ils ont clairement décidé que tous ceux, toutes celles qui ne partageaient pas leurs points de vue étaient des non-musulmans, des Koufars. C’est ainsi qu’ils peuvent justifier les assassinats politiques de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi en 2013, pourtant tous deux des musulmans pratiquants.
Les militantes tunisiennes n’ont laissé passer aucune question touchant à la dignité du citoyen et à la justice sociale. Elles se déplacent aux quatre coins du pays pour vérifier, écouter, et plaider les causes justes. Elles attirent l’attention des autorités sur les vrais problèmes, elles l’ont fait lors du soulèvement au bassin minier de Gafsa en 2008, soulèvement durement réprimé par la police de Ben Ali. Elles ont réagi pour écouter et aider les familles victimes de violences par la police pendant la période qui a suivi le 14 janvier 2011. Elles réagissent dans les cas de viol, de racisme, de discrimination contre les religions autres que l’Islam.
La femme tunisienne avait annoncé son intention de ne pas se taire pour défendre ses droits avant l’indépendance de la Tunisie, aujourd’hui plus que jamais, elle est présente partout pour faire prévaloir ses droits et ceux de ses concitoyens de tous bords.

Khedija Arfaoui