Rome refuse de nouveau l’entrée à un navire de migrants coincés en mer

Le navire humanitaire Le Lifeline menacé de mise sous séquestre par l’Italie, attendait ce samedi dans les eaux internationales une solution diplomatique et un approvisionnement pour les 230 migrants à bord, à la veille d’un minisommet européen consacré à la crise migratoire.

Trois semaines après l’entrée en fonction d’un gouvernement populiste qui a promis de mettre fin à l’afflux de migrants, Rome a exclu de laisser le navire entrer dans un port italien, et a dit vouloir vérifier la correspondance entre le pavillon néerlandais du bateau et sa nationalité.

« Le Lifeline, un navire illégal avec 239 immigrants à bord, est dans les eaux maltaises », a écrit sur Facebook le ministre de l’Intérieur italien et chef de file de la Ligue (extrême droite), Matteo Salvini.

« Rejoindre l’Italie, ils peuvent oublier. Je veux en finir avec le business du trafic et la mafia. » Le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini

« Nous attendons une solution diplomatique, des discussions sont en cours entre différents États » pour accueillir le Lifeline et les naufragés, a dit Axel Steier, le représentant en Allemagne de l’ONG Lifeline, refusant d’apporter d’autres précisions sur ces pourparlers.

Il doit y avoir dimanche un ravitaillement depuis Malte « pour apporter des couvertures, des médicaments, de la nourriture », a-t-il ajouté, assurant que le navire resterait dans les eaux internationales en attendant une résolution de la situation.

L’Italie accuse l’ONG d’avoir agi en contravention du droit international en prenant à son bord les migrants alors que les garde-côtes libyens étaient en train d’intervenir.

L’organisation assure être venue en aide à des naufragés en perdition, environ 230 personnes, dont 14 femmes et 4 enfants.

M. Steier a aussi rejeté les affirmations de Rome qui accuse le navire de battre illégalement pavillon néerlandais. La représentation des Pays-Bas auprès de l’Union européenne a pour sa part assuré que le navire n’apparaît pas dans les registres navals néerlandais.

« Tous nos documents sont en ordre, tout est légal », a dit M. Steier, confirmant le pavillon néerlandais du navire et assurant ne pas « comprendre » ces accusations.

« Le Lifeline a enfreint les règles en ignorant les instructions de l’Italie », a de son côté estimé sur Twitter le premier ministre maltais, Joseph Muscat, conseillant au navire de revenir à « sa destination initiale pour éviter une escalade ».

L’ONG See Eye, dont le navire Seefuchs a aussi été menacé de mise sous séquestre par l’Italie pour cette même raison, n’était pour sa part pas immédiatement joignable samedi matin.

Pendant cet imbroglio, l’armateur danois Maersk Line a annoncé samedi qu’un de ses porte-conteneurs avait porté secours à 113 migrants au large des côtes italiennes, tandis que 418 personnes ont été secourues au large des côtes espagnoles au cours de trois opérations par les services de sauvetage en mer.

Près de 200 migrants ont en outre été secourus et cinq sont morts au large de la Libye, selon la marine libyenne.

L’ONG Lifeline a dit craindre vendredi « une situation semblable à celle de l’Aquarius », un navire humanitaire affrété par l’ONG française SOS Méditerranée qui a été accueilli par l’Espagne dimanche, une semaine après le refus de l’Italie et de Malte d’ouvrir l’un de leurs ports.

Les 630 migrants que le navire transportait initialement avaient été en partie transbordés vers deux navires italiens, et les trois bateaux avaient ensuite fait route vers l’Espagne.

Plus au nord, en Sicile, devant le port de Pozzallo, l’Alexander Maersk, le bateau d’une ONG danoise, est aussi bloqué depuis vendredi, rapporte notre correspondante à Rome, Anne Tréca. Il transporte 110 migrants secourus et a été ravitaillé en vivres et produits de première nécessité. Mais l’équipage attend toujours l’autorisation d’entrer dans le port.

En fait Matteo Salvini, le ministre italien de l’Interieur, a fait de la guerre aux humanitaires étrangers opérant en Méditerranée une priorité, pour – dit-il «casser les affaires des trafiquants et des mafieux». Et de préciser : « L’Aquarius des français et l’Open Arms espagnole, actuellement en route vers la zone de secours, peuvent oublier l’Italie ». Avec ces coups de force, Rome veut obtenir une redistribution de l’accueil des migrants en Europe. Les hommes, les femmes et les enfants secourus en mer sont devenus les otages d’un jeu diplomatique.

Solutions européennes ?

La question de l’accueil des migrants sera au centre d’un minisommet de crise dimanche, à Bruxelles. Destiné à préparer le Conseil européen des 28 et 29 juin, qui sera largement consacré à l’immigration, le minisommet sera boycotté par les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie), partisans d’une ligne dure sur l’immigration.

Tentée par un boycott, l’Italie a finalement confirmé sa participation, mais entend y faire « entendre sa musique », selon M. Salvini.

Pour Rome, le texte préparé par Paris et Berlin en vue du Conseil européen n’aborde pas suffisamment la question de la protection des frontières européennes pour se concentrer sur le redéploiement des migrants dès lors qu’ils sont déjà arrivés en Europe.

Selon un document de travail provisoire, les participants envisagent la mise en place d’un « mécanisme de solidarité efficace » avec des quotas de répartition obligatoires des migrants entre les pays membres, un chiffon rouge pour les pays de Visegrad.

Le président français Emmanuel Macron tentera par ailleurs de convaincre samedi le premier ministre espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, d’adopter son point de vue.

Paris souhaite une protection des côtes par l’agence Frontex, dont les effectifs seront portés à 10 000 hommes, contre 1500 actuellement; un office européen pour centraliser les demandes d’asile; une répartition en Europe de ceux ayant obtenu le statut de réfugiés; et une gestion européenne des expulsions, en négociant avec les pays de départ.

Pour l’exécutif français, une bonne solution serait d’installer des centres d’examen des dossiers sur le sol africain, qui sélectionneraient les candidats pouvant obtenir l’asile et dissuaderaient les autres.

Avec agences