Impossible syncrétisme et vraie confusion

Dans une communication antérieure, Je n’avais pas hésité à parler de la constitution de 2014 comme l’apanage d’une démocratie à usage unique, jetable, juste bonne à servir de tremplin pour l’instauration, encore loisible sans les violences observées ailleurs, d’une théocratie dont le mouvement dit «ennahdha» ne se départira jamais puisque, faut-il le rappeler, c’est sa raison d’être. J’y reviens maintenant qu’en plein antichambre de l’enfer, il en est qui se délectent des arguties les plus déliées et crient victoire sur les obscurantistes, applaudissant je ne sais quels coups de génie du président de la république dans un combat imaginaire. Je ne ferai à personne l’affront d’expliquer la gravité de la situation à la veille d’élections fatidiques, mais me morfonds de constater avec quelle facilité des entourloupes et petites ruses de Sioux font croire à de hautes visions de l’avenir. Résumons-nous:
Il n’y a aucune dérogation, même et surtout fondamentale, aux dogmes islamistes qui ne soit acceptable et officiellement déclarée compatible par les mouvements politiques s’en réclamant à l’origine, dès lors qu’elle s’inscrit dans une course au pouvoir pour leur en faciliter l’accès et, aussitôt ce but atteint, tomber Ipso Facto en désuétude et disparaître devant la chariâa. Ceci ne pouvait échapper à l’actuel chef de l’Etat qui a longtemps cherché à accréditer auprès de l’opinion publique de prétendus accommodements doctrinaux qu’il qualifiait lui-même de concessions de la part de son partenaire nahdhaoui. Y aurait-il renoncé ou s’en serait-il repenti en choisissant cette fois-ci, dans son discours du 13 août, de l’acculer dans les cordes de la «Dawla madania» comme on lui en prête l’intention? Si tel était le cas, la leçon devait d’abords être tirée que la mixture idéologique jusqu’alors servie est une vue de l’esprit inopérante, sauf, hélas!, pour dédouaner ledit partenaire et tromper le peuple sur les intentions prédatrices de son parti. C’est ce que j’entends par impossible syncrétisme.
Ainsi donc, par la magie du projet de loi instituant l’égalité successorale entre hommes et femmes et dépénalisant certaines mœurs, objet d’un débat auquel manque la sérénité dans la situation de crise politique, sécuritaire, économique et sociale qui prévaut et qui aurait gagné à être mûri et présenté en des temps meilleurs, le parti islamiste serait pris en tenailles entre deux alternatives, soit le soutenir et donner des gages de bonne conduite, soit s’y opposer et, pas seulement jeter bas le masque, mais aussi violer la constitution. D’un cœur léger, un risque a été pris de diviser encore davantage les tunisiens et, très probablement, un cadeau électoral a été fait à «ennahdha».
De plus, l’argumentaire puisé dans la constitution par le tribun du 13 août à l’appui de son message aux intégristes, qui se voulait contraignant ou en avait tout l’air, s’est traduit par un gâchis juridique considérable, pas seulement parce qu’il touche à la nature même de l’Etat dont une traduction littérale sans pareille au français de «madania» par civile trahit un trouble originel sur l’adhésion de tous à sa laïcité plus nettement rendue par «3ilmania», mais parce qu’il heurte de front les principes qui y sont consacrés. L’article 6 de la constitution dispose : « L’Etat protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes, il assure la neutralité des mosquées et des lieux du culte de l’exploitation partisane. » Se pouvait-il que les députés islamistes fussent alors embarrassés de voter contre le projet de loi en leurs qualités individuelles de citoyens musulmans, en toute liberté de conscience? Assurément non. Croire que, ce faisant, ils se dédiraient, c’est les tenir pour engagés à donner à leur vote une signification partisane. Venant du chef de l’Etat, c’est, selon qu’il y croit ou non, soit contrevenir aux énonciations de l’article 6 de la constitution, soit, une fois de plus, détourner par un gadget quelconque les tunisiens de leurs problèmes, entretenir chez ses derniers supporters l’illusion qu’il tient encore la barre et leur donner à dire, comme il m’arrive trop souvent de le lire ou entendre, avec cet air entendu, que «Bejbouj» a plus d’un tour dans son sac.

Abdessalem Larif