« Glibet » et langue Turques : Néji Jalloul a-t-il les mains enchaînées ?

Neji-Jalloul prépare ses valises tunisieLe débat est de plus en plus polémique autour de l’enseignement de la langue turque dans les lycées tunisiens. Sans doute son animation n’est-elle pas étrangère à la tension sociale liée au conflit entre le ministre de l’Education et les syndicats du secteur, ceux-ci s’obstinant inconditionnellement à revendiquer son départ. Mais la relance du débat est liée aussi au décret du ministère, en date du 6 mars 2017, précisant les mesures réglementant les matières optionnelles dans les lycées du secondaire.

Nous croyons savoir que ce tapage autour de la question n’est pas sans effet inopportun sur le ministre, car ajoutant aux arguments censés pousser à son limogeage ou à sa démission (celle-ci catégoriquement hors de propos pour N. Jalloul). Aussi, le ministère fait-il état d’un argument d’autorité, celui de la vérité, récemment rappelée par Mondher Dhouib, directeur du cycle préparatoire et secondaire au ministère de l’Education : « L’introduction de la langue turque comme langue optionnelle a été faite depuis l’année scolaire 2012-2013 suite à un accord entre la Tunisie et la Turquie signé au mois de juin 2013 ».

En effet, l’annonce initiale de la décision avait été faite par Abdellatif Abid, alors ministre de l’Education de la troïka, dimanche 03 juin 2012. Ainsi, par-delà tous les reproches qui peuvent être formulés à l’égard de Néji Jalloul, ce dernier peut très bien se défendre de toute implication dans les effets divers d’un accord qui l’acculerait, lui et le gouvernement auquel il appartient. D’ailleurs, il aurait avoué qu’une pression avait été exercée sur lui, dans le gouvernement Habib Essid, pour mieux concrétiser cet accord et qu’il avait résisté autant que faire se pouvait.

N’empêche que la démarche ne manque pas de susciter certaines interrogations légitimes :

¤ D’aucuns remonteraient à l’accord de libre-échange (ALE) tuniso-turque signé à Tunis, le 25 novembre 2004, par Kürşad TÜZMEN pour la Turquie, en sa qualité de ministre d’État, et par Mondher ZENAIDI, pour la Tunisie, en sa qualité de ministre du commerce et de l’artisanat. Certes, il a résulté de cet accord que la Tunisie importe le double qu’elle n’exporte vers la Turquie (une situation aggravée apparemment par l’accord de juin 2013), mais les termes de l’autonomie, de l’équité et de la parité décisionnelles sont strictement consignées.

¤Par contre, la date de la signature de l’accord engageant la décision liée à l’enseignement de la langue turque, un semestre à peine après la prise du pouvoir par la troïka, en pleine tension sur l’islamisation politique de la société tunisienne, donne à réfléchir sur nos gouvernants de cette étape. Evidemment, les observateurs pointent du doigt Ennahdha, même si c’est un ministre du Takattoul qui était à la façade, comme c’est souvent le cas pour les manipulations suspectes du parti qui portait le drapeau de l’islamisme politique.

¤ Et c’est là qu’il y aurait anguille sous roche aussi quant à la façon dont le ministère actuel de l’Education présente la situation. En effet, pourquoi à la fois renvoyer la balle dans le camp des autres et en même temps atténuer l’effet ? Dans l’absolu, introduire l’enseignement d’une langue étrangère en matière optionnelle est toujours une bonne chose, partant du principe qu’ « un homme vaut autant d’hommes qu’il n’en connaît de langues ». Mais se hasarder à minimiser le nombre d’élèves ayant opté pour cette langue est un argument suspect. Il en est de même de la minimisation du nombre de régions, dix (initialement 14) du nombre d’enseignants – payés par la Turquie, s’il vous plaît (ce qui ajoute à la suspicion) !!!

¤En marge de la réclamation du Khalifat en Tunisie par certains, d’aucuns avaient évoqué aussi une quelconque intention de restauration de l’Empire ottoman, une idée qui n’est pas pour déplaire à Recep Tayyip Erdoğan, car semblant présider à l’état d’esprit qui commande sa politique et son ambition personnelle. Rappelant que très peu de temps avant 2011, quand il était Premier ministre, l’homme fort de la Turquie actuelle avait été le principal allié de Kadhafi qui avait permis aux intérêts économiques et sociaux de son pays de supplanter ceux de la Tunisie, son pays-frère et son ancien allié privilégié. C’était du temps où Erdogan recevait le Prix Kadhafi des Droits de l’Homme !

Difficile de lui en faire le reproche, car en vrai disciple de Machiavel, il a été princier dans sa démarche, royal dans ses visées ? N’oublions pas qu’il veut gagner un statut historique à même de faire oublier Mustafa Kemal Pacha Atatürk, une ambition amplement partagée avec Rached Ghannouchi et Mohamed Moncef Marzouki à l’égard de Bourguiba.

¤ Ne conviendrait-il pas donc, pour Néji Jalloul, d’assumer publiquement et avec la conviction nécessaire, sa position à l’égard de cette question. Il peut épouser l’esprit de cet accord sur la langue turque pour essayer de gagner le soutien des gouvernants de la troïka et leurs alliés (peine perdue d’avance) ; mais il peut aussi se démarquer en s’inscrivant en faveur d’une décision autonome et indépendante à ce propos, séparant la philosophie et la conduite de l’enseignement de toute politique d’allégeance à un pays étranger, surtout quand les intentions expansionnistes de ce dernier sautent aux yeux. N’est-ce pas plus en adéquation avec une bonne intention de la réforme de l’enseignement ?

Mansour M’henni le 2 avril 2016

Remarque : le titre par la rédaction