Essayons de comprendre Si Béji et serrons nos rangs

Ma famille ne m’a appris ni l’ingratitude ni la trahison. Je n’ai pas oublié l’atmosphère de deuil national d’un certain décembre 2011. Malgré la balkanisation, le nombrilisme et l’amateurisme béat qui ont marqué le paysage politique lors du processus des élections de la constituante, certains ont cru détenir la destinée du processus « révolutionnaire » entre les mains pour se voir maîtres de cette assemblée. Le tsunami islamiste nahdhoui a tout emporté. C’étaient les visages livides, les prosternations devant les murs des lamentations, l’achoura avec ses scènes d’auto flagellation devant et à l’intérieur des boutiques politiques en faillite. Tous assistaient impuissants à un putsch islamiste qui a monopolisé, le pouvoir constituant, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
Le clan qui se prétend démocrate et progressiste était en déroute. Les destouriens de tout bords étaient terrés. Ils n’osaient pas s’afficher sur l’échiquier politique. Les hommes d’affaires sont rackettés par le parti Ennahdha. Des dizaines de milliards y ont été versés en contre partie de l’absolution. Or, qu’on soit pour ou contre, il n’y avait que l’ancienne machine destourienne et les personnes indépendantes et imbues du sens de l’Etat qui pouvait redresser la barre. Les carnets d’adresses existaient encore et beaucoup n’attendaient qu’une initiative pour enclencher une action qui concurrencerait le bloc de la Troïka.
Au deuxième trimestre de 2012, Béji Caïd Essebsi créa Nida Tounes avec pour but de rassembler l’opposition autour de plusieurs axes d’actions qui tournent autour d’une sortie de crise et la mise en place d’un frein à l’islamisation de l’appareil de l’Etat et de la société.
Hommes de gauche, syndicalistes, démocrates, indépendants, destouriens de tous bords et hommes d’affaires ont intégré le parti. Le charisme de Béji Caïed Essebsi et sa longue expérience politique étaient l’assurance du succès de parti. L’espoir est né avec l’initiative de Béji Caïed Essebssi. Une dynamique politique est née insufflée par Nida Tounes. Ce sont des indépendants, des gens de gauche, des syndicalistes et des démocrates et des vieux routiers connus par leur probité qui se sont mis au départ de l’avant pour implanter le parti dans les régions. Mais c’était, en fait, une machine, bien rodée en underground, soutenue d’hommes d’affaires que le racket hantait et handicapait qui donnaient à ces « pionniers » les atouts de la réussite. Car, en ces temps d’effervescence populiste et démagogue ceux qui étaient soupçonnés à tort ou a raison d’une implication quelconque avec l’ancien régime trouvaient des difficultés à s’afficher. Mais, ils assuraient la logistique et actionnaient les ficelles de derrière les rideaux. Au sommet, c’était Béji Caïed Essebsi qui distribuait les rôles. Donc, les pionniers ne pouvaient se prévaloir aujourd’hui, d’une légitimité tronquée. Sans un appareil huilé depuis huit décennies, ses satellites, des hommes imbus du sens de l’Etat et attachés au modèle sociétal tunisien qui tournaient dans son orbite et le financement de personnes qui refusaient de se voir soumis encore une fois à un autre dictât, cette fois ci enturbanné d’un autre âge et surtout le charisme du jeune patriarche, ils ne pèseraient rien. D’ailleurs, quand ils sont sortis du Nida, ils n’ont rien pu faire, sauf ajouter de l’eau au moulin nahdhaoui.
L’envergure de cette dynamique a déstabilisé Ennahdha qui commençait à perdre du terrain. Cette dynamique a desserré l’étau sur l’UGTT et les partis politiques progressistes ou démocrates opposés à la Troïka. Elle les a libérés progressivement des violences et intimidation d’Ennahdha et des milices « de protection de la révolution » et ils ont pu ainsi travailler en toute quiétude.
Les visages livides et lugubres de décembre 2011 commençaient à afficher des traits d’espoir. Les petits poucets se sont rassemblés devant l’ANC pendant tout le troisième trimestre de 2013 et ont mis l’ogre nahdhaoui KO, malgré son argent qatari et son soutien turque. Le poids de Nida Tounes dans le sit in du bardo de 2013 a été déterminant, mais c’était toujours en underground. De tous les ténors de l’opposition, seul Béji Caïd Essebsi avait l’envergure d’un rassembleur et de catalyseurs des masses frappées de léthargie, et ayant ses entrées dans les institutions de l’Etat, qui pouvaient peser d’une manière ou d’une autre, dans les circonstances précédant l’assassinat de Bélaïd et de Brahmi. En politique, il faut savoir sonder la face cachée de l’iceberg pour bien connaître la configuration de sa face apparente et de sa dérive.
Bref, l’envergure qu’a prise Nida Tounes de 2012 à 2014 a affaibli Ennahdha qui devait faire face à plusieurs fronts et surtout à l’avancée fulgurante du Nida. Cet affaiblissement a profité à toute l’opposition à la Troïka. Ennahdha fut vaincue en 2014, l’allégresse a envahi les villes et les rue, l’aigreur a changé de camp et tous les espoirs étaient permis. Nous étions ressuscités et Béji Caïed Essebssi y était pour beaucoup. J’ai toujours été de l’extrême gauche, militant patriote démocrate, avant de quitter cette mouvance en 2011, sans intégrer aucun parti, mais je ne peux ne pas être reconnaissant à celui qui a détruit les murs des lamentations, et arrêté l’auto flagellation lors de l’achoura de 2011 et 2012 et donné un nouvel élan à une liberté tant rêvée et qui allait être enterrée par l’islamo fascisme montant. Je ne suis ni ingrat ni malhonnête.
Certes, après son investiture, si Béji a fait le rapprochement forcé avec Ennahdha, mais c’était parce qu’il a été trahi par ceux qui en principe devraient s’allier avec lui. Il faut se mettre à l’évidence que les pressions étrangères étaient grandes pour repêcher Ennahdha et qu’il n’avait pas le soutien intérieur suffisant pour l’exclure du pouvoir. Déjà les prétentions démesurées comme celle d’un certains Mohsen Marzouk, les mécontents de n’avoir même pas eu un strapontin ou un fauteuil à la mesure de leur cul terreux, le fricotage de certains comme L.Akrmi avec Ennahdha, la frivolité de certains comme Ksila, commençaient à miner Nida Tounes dès 2014. A cela, il faut ajouter le travail de sape d’une gauche, gauche, d’une UGTT emballée dans un anarcho syndicalisme destructeur et d’un clan démocrate aveuglé par un esprit revanchard ou l’indigestion d’une démocratie dont ils n’ont pas saisi les valeurs intrinsèques. Dans ces conditions, fallait-il à si Béji qu’il engage le pays dans une crise politique dont les conséquences étaient incertaines dans un contexte où les alliances étaient incertaines et Ennahdha blessée, chercherait à reconquérir le pouvoir par tous les moyens y compris par la violence ? Si Béji a laissé le temps au temps, espérant que la classe politique gagne en maturité.
Aujourd’hui que si Béji a déterré la hache de guerre avec Ennahdha, et qu’il est déterminé à sauver nos mères, nos sœurs, nos filles de la burka afghane et nos enfants des écoles des ténèbres, soyons avec lui pour que la Tunisie demeure celle de Bourguiba, la Tunisie berbère, phénicienne et méditerranéenne, bien que islamisée.

Mounir Chebil