Ainsi Parlait…Gatekerrpers

La décision de l’IPCCPL relative à la constitutionnalité de l’article 36 de la loi de finances pour l’exercice 2019 mérite les commentaires qui suivent:

1-La profession crie victoire et les médias ont rapporté l’information de manière brute et tronquée sans expliquer le substrat de la décision de l’IPCCPL. Ceci ne peut qu’entretenir chez le public non avisé, la croyance que le secret professionnel auquel sont tenues les professions libérales est intouchable et que l’article contesté fut rejeté, pour ce motif, en bloc. Or, il n’en est rien.

2-En substance, la décision de l’Instance dit que l’expression “informations relatives aux prestations fournies par les personnes tenues par la loi au secret professionnel ” devrait être précisée (…) davantage par l’article 36, car, sous sa rédaction actuelle, cet article conduira à des difficultés d’application de nature à porter atteinte aux principes de sécurité juridique et de lisibilité du texte”. L’Instance, en d’autres termes, admet que des exceptions soient apportées au principe du secret professionnel, mais exige que le périmètre de ces exceptions soit délimité de manière précise, d’autant qu’il s’agit dans le cas d’espèce, d’un texte fiscal qui obéit au principe de l’interprétation stricte.

Le principe du secret professionnel, comme nous l’avons démontré dans notre statut Facebook du 16 décembre dernier sous le titre « À propos du secret professionnel : « Force doit rester à la loi » (1) »  n’est donc ni absolu ni sacré, comme le prétend la profession d’avocat.

3-L’Instance maintenant, nous livre un verdict par trop austère sur une question pourtant importante. Douze lignes au total !

D’abord, les motifs de droit qu’elle invoque ne renvoient pas tous à des dispositions de la Constitution de 2014. Le contenu raisonné de sa décision se fonde sur trois principes: la sécurité juridique, la lisibilité des textes juridiques et l’interprétation stricte des textes fiscaux. La question ici est de savoir si ces principes ont réellement ou non une valeur constitutionnelle pour pouvoir constituer une base juridique valable à un contrôle de la constitutionnalité des lois. La réponse n’est pas de toute évidence car le débat sur la valeur juridique de ces principes n’a jamais été clos.

Ensuite, l’Instance ne dit pas que l’article 36 est contraire à la Constitution, mais que tel que rédigé, il conduira à des difficultés d’application qui “(…) pourraient atteindre au droit de garder le secret professionnel et aux garanties consacrées par les articles 24 et 49 de la Constitution”.

L’inconstitutionnalité porte donc non pas sur une violation directe de la loi fondamentale, mais sur un risque, une probabilité, un soupçon de survenance d’une violation !

4-La décision est paradoxalement bonne à prendre par le gouvernement et n’en déplaise, mal à prendre par les initiateurs du recours.

En effet, elle désavoue la campagne de contestation et de protestation organisée à l’occasion, par les corporations concernées ainsi que tout l’argumentaire juridique et autre qui la sous-tend et dissuade partant de toute tentative future d’ériger les professions libérales en “Gatekeepers” (ouvreurs de porte) à l’évasion fiscale, au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.

Par ailleurs, elle ouvre la voie à l’adhésion de la profession d’avocat dans l’exercice de ses activités atypiques ( rédaction d’actes, etc. ) au dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme; ce qui permettra au pays de finaliser son plan d’action convenu avec le GAFI qui expire en janvier 2019 et de sortir de la liste publique de cette instance et de celle de l’UE, relatives aux pays et juridictions dont les dispositifs LBA-CFT présentent des déficiences stratégiques.
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Article 24 : L’État protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, des communications et des données personnelles. Tout citoyen dispose de la liberté de choisir son lieu de résidence et de circuler à l’intérieur du territoire ainsi que du droit de le quitter.

Article 49 : Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Les instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte.

Samir Brahimi