Tunisie : Chronique de l’an 8

Adel Ben Amor

L’année dernière, à pareille période, j’ai publié une chronique sur le 7ème anniversaire de la révolution, avec une analyse multifactorielle de la situation socio-économico-politique. Cette année, bien que celle-ci ait empiré, j’ai focalisé ma chronique sur les 3 points qui me paraissent les plus sombres et assumer une responsabilité majeure dans cette situation catastrophique.

Je commencerais par l’ARP. C’est vrai que le régime parlementaire a montré ses risques et limites au point que son changement devient une priorité, mais nos députés n’ont pas lésiné sur les moyens pour enfoncer le pays. N’étant plus tenu par l’obligation de réserve, estimée habituellement à 2 ans, je rapporte un fait dont j’ai été témoin et qui date d’environ 3 ans. Notre ministre a été invité à l’ARP pour répondre à une question posée par un député. Comme le veut la coutume, son équipe rapprochée l’accompagne. Arrivés sur place, nous avons été conviés à entrer dans la salle plénière. La salle était comble ! Des députés rarement présents étaient là ! Magnifique, me diriez-vous ! Non, tristement désolant, car le Président de l’ARP avait suggéré à l’époque d’appliquer des retenues sur salaire pour endiguer le phénomène de l’absentéisme qui ronge l’ARP et avait ce jour convoqué une plénière pour en discuter. La salle était comble et l’atmosphère houleuse au point qu’un député s’écria « Monsieur le Président, nous ne sommes pas des ouvriers de chantiers (ommal al hadhaer) » !!! Venant d’un représentant du peuple, c’est odieux. Je suis rentré peiné, avec une seule idée en tête et qui se confirme de jour en jour : le peuple tunisien mérite nettement mieux que l’ARP qui siège au Bardo !
Nos députés n’arrêtent pas de nous donner des leçons de démocratie. Sachez alors que dans les démocraties qui se respectent, un député qui quitte son groupe parlementaire démissionne ou reste indépendant jusqu’à la fin du mandat, selon les parlements et les textes qui les régissent. Certes nos textes ne l’exigent pas, mais les obligations éthiques et morales envers les électeurs et l’ARP interdisent le tourisme parlementaire. Certains députés ont changé 4 ou 5 fois de groupe, sans scrupules, si bien que parmi ceux qui revendiquaient le départ de Chahed, certains se bousculent pour nous le présenter comme le sauveur du pays, en des termes Ben Aliens, de même que ceux qui ont quitté Nida à cause de son rapprochement avec Ennahdha ont découvert par enchantement que la secte est devenue démocratique et fréquentable et veulent nous en convaincre !!! En un mot, c’est honteux. Le « génie » d’Ennahdha ou la cupidité des « autres », c’est que chaque fois qu’elle est dans le pétrin, des gens externes viennent à son secours pour la faire revenir sur la scène politique et lui donner récemment le pays sur un plateau ! Qui l’aurait cru après Bardo 2013 ?! Mais pourquoi font-ils cela ? La raison à mon sens est toute simple : certains députés ne se voyaient pas avant 2014 accéder à cet honneur d’être député. L’échéance de 2019 approchant, ils se voient mal regagner leur situation antérieure et s’accrochent bec et ongles à toute force politique qui pourrait leur garantir un 2ème mandat, y compris les ennemis d’hier : la fin justifie les moyens !

Ma deuxième grande déception est le gouvernement et son chef. Je ne me suis jamais fait d’illusion concernant les deux, mais le niveau bas de la performance gouvernementale défie toute chronique ! Fin Août 2016, à l’annonce du gouvernement, j’ai écrit un post « Le gouvernement Chahed : l’échec annoncé ». En effet, ni les compétences technocratiques et politiques de Chahed, ni celles de la plupart de ses ministres, ne présageaient que ce gouvernement pléthorique pour un pays en crise assurerait un mandat honorable. Je ne parle pas de son gouvernement II qui a remis les clés de l’exécutif à Ennahdha ! Devant l’ampleur de son échec, il est sorti sur la chaîne nationale (eh oui !) nous faire une annonce fracassante : c’est Hafedh qui est à l’origine des problèmes de Nida et du pays. Il a omis de dire que c’est lui qui l’a intronisé à Sousse et vidé Nida de ses cadres et ses forces vives ! Tout comme il le pratique dans son gouvernement : chaque fois qu’un ministre perce et lui fait de l’ombre (Abdelkéfi, Brahem, Korchid), il le limoge.
Je défie les « Go Jo » de me donner une seule réalisation de leur idole ! Et ne me parlez surtout pas de la lutte contre la corruption et le terrorisme, la pire des supercheries ! Le pays est en ébullition concernant l’organisation secrète liée à Ennahdha, mais aucune déclaration ni réaction de la Kasbah, à part le limogeage de Brahem et son remplacement par un ministre « garanti », comme dirait le gourou. C’est vrai que Chahed est trop occupé par le montage de son parti et sa campagne permanente qui ne lui laissent pas le temps de s’occuper des préoccupations du citoyen. Et si les avocats en charge du dossier Belaïd et Brahmi n’ont pas persévéré, avec le soutien de la société civile, ce dossier aurait été enterré depuis belle lurette. Sachez, les « Go Jo », qu’en politique, le succès se mesure par les résultats et non par les intentions, et qu’à ceux qui nous demandent de lui donner une deuxième chance, je répondrais que l’expérimentation et l’exercisation se font dans les laboratoires et non à travers la gouvernance de la Tunisie : il n’est pas coiffeur et nous ne sommes pas orphelins (je vous laisse le soin de traduire) !

J’en viens à ma troisième déception : les médias. Je ne vais pas abonder sur le sujet car il y a consensus sur la question. Certains médias et certains chroniqueurs n’ont aucune gêne à dire la chose et son opposée ! Ils le font avec une aisance déconcertante : du « kalban vista » professionnel, comme ils l’ont fait auparavant. Je comprends parfaitement qu’un média est libre de choisir sa politique éditoriale comme partout ailleurs, mais il faut lui rester fidèle et apporter la preuve de ce qu’on dit. Il faut arrêter de débiliser le peuple par des émissions de voyeurisme ou une « arrafa » qu’on ramène sur plateau pour prédire l’élection de Chahed à la présidence en 2019.

Mais malgré tout, je reste optimiste ! Ennahdha, a l’origine de nos maux, est dans une mauvaise posture. Il ne faut pas lâcher prise, ni se démobiliser. Comme nous l’avons évincée en 2013, nous la vaincrons, démocratiquement, en 2019 ! Mais pour cela, commençons par nous inscrire dans les listes électorales et dénoncer le mutisme complice de l’ISIE ! Pour qui voter ? Inscrivons-nous d’abord et on verra ensuite. Sinon, on va avoir des regrets pires que ceux des élections municipales.

Adel Ben Amor , universitaire