Plusieurs agences de notation rétrogradent la Turquie

Les agences de notation américaines Standard & Poor’s (S&P) et Moody’s ont annoncé , vendredi 17 août , que la cote de crédit de la Turquie a été abaissée en raison de l’instabilité de la livre turque, qui a déjà perdu 40% de sa valeur cette année, et des craintes de récession économique.
La Turquie a basculé la semaine dernière dans une crise monétaire. Après des années d’érosion, la livre turque s’est effondrée sur fond de tensions avec les Etats-Unis et de défiance envers la gestion économique du président islamiste Recep Tayyip Erdogan.
S&P a été la première à annoncer une résolution ramenant la notation de la Turquie de B+ à BB-, tout en maintenant une perspective stable, tandis que Moody’s a abaissé sa note de Ba2 à Ba3, assortie d’une perspective négative.
S&P a par ailleurs indiqué dans un communiqué qu’elle prévoyait désormais une récession de l’économie du pays en 2019 et que les risques étaient « aggravés par le manque de réaction politique rapide et efficace » des autorités turques, déplorant l’absence de plan « crédible » d’Ankara face aux turbulences actuelles.
Moody’s de son côté, a souligné que l’effondrement de la livre turque, et plus généralement les conditions financières moins favorables, sont susceptibles d’alimenter l’inflation et de mettre un frein à la croissance de la Turquie.
L’indépendance de la Banque centrale turque est selon l’agence en péril, et l’écart entre ses objectifs pour contrôler l’inflation et le « manque de volonté » politique pour les atteindre porte atteinte à sa crédibilité.

Fitch a couvert le bal 

La dette de la Turquie, a été diminuée le 14 août par l’agence de notation financière Fitch. La Turquie est passée de BB+ à BB, il s’agit là, d’une catégorie spéculative. Elle est assortie d’une perspective négative, ce qui implique qu’elle pourrait encore être abaissée prochainement, précise Fitch dans un communiqué.

Fitch a estimé, que « les risques pesant sur la stabilité macroéconomique du pays se sont intensifiés ». En effet, côté bourse, la livre turque a perdu 30 % de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année. Côté inflation, elle vient de dépasser les 15 % par an. Tout cela, ne fait que creuser les déficits publics. Heureusement, malgré un tableau assez sombre de l’économie turc, il convient tout de même de souligner, que la croissance reste solide à 3,5 %.

Selon l’agence de notation Fitch, “la crédibilité de la politique économique s’est détériorée ces derniers mois et les premières mesures prises après les élections de juin ont augmenté l’incertitude ». Les inquiétudes, se sont installées suite aux mesures prises, et aux déclarations du présidant Erdogan. En effet, le président Erdogan, non-content d’avoir commencé un nouveau mandat, et d’avoir cimenté ses pouvoirs, voilà qu’il décide de placer à la tête du ministère des Finances son gendre Berat Albayrak.

L’agence Scope aussi 

L’agence de notation Scope a abaissé de BB+ à BB- la note de crédit qu’elle attribue à la Turquie, l’assortissant d’une perspective négative, contre stable jusque-là. Scope déplore le manque de visibilité et de crédibilité du pays en termes de politique économique, monétaire et fiscale. « Les récents événements jettent le doute sur l’engagement du gouvernement à adresser ses faiblesses économiques structurelles », lâche l’agence de notation.

Les prévisions d’inflation se sont dégradées, poursuit Scope, tandis que la chute des marchés a rendu plus difficile l’accès aux financements internationaux.

Une inflation galopante

Les économistes répètent depuis plusieurs mois qu’une hausse significative des taux d’intérêt de la banque centrale est nécessaire pour soutenir la livre et enrayer l’inflation galopante.
Mais M. Erdogan s’oppose fermement à une telle mesure. Les marchés ont été sidérés le mois dernier par le refus de la banque centrale de suivre cette voie en dépit de la gravité de la situation.
La banque centrale a néanmoins eu discrètement recours ces derniers jours à un mécanisme lui permettant de hausser de facto son taux au jour le jour.
Ce moyen détourné « a renforcé les inquiétudes selon lesquelles (la banque centrale) craint de subir les foudres » du gouvernement, souligne William Jackson, de Capital Economics.Les économistes s’interrogent sur la capacité de M. Erdogan à affronter la crise actuelle, d’autant plus qu’il a nommé en juillet son gendre relativement novice, Berat Albayrak, aux Finances.

Les positions « peu orthodoxes » de M. Erdogan, convaincu par exemple que baisser les taux fait baisser l’inflation, ont créé une « crise de confiance », souligne Timothy Ash, économiste spécialisé dans les marchés émergents.
Après des années de forte croissance, grâce notamment aux largesses du gouvernement, les économistes appellent à ralentir la machine.

Washington, tout-puissant au FMI

Les libérations cette semaine de deux soldats grecs et du président d’Amnesty International en Turquie ne sont « pas une coïncidence », souligne une source diplomatique européenne.
Pendant que les tensions avec Washington se renforcent, Ankara multiplie les contacts avec la Russie et l’Europe, qui a vivement critiqué les atteintes aux droits de l’Homme en Turquie depuis deux ans.
La crise avec les Etats-Unis pousse M. Erdogan à être « considérablement plus prudent dans son approche avec l’UE », souligne le cabinet Eurasia Group.
Si elle n’est pas la seule cause de l’effondrement de la livre, cette crise, liée notamment au sort d’un pasteur américain en Turquie, y a largement contribué.
La Turquie va-t-elle avoir recours au Fonds monétaire international (FMI) ? La question se pose aujourd’hui dans les cercles économiques.
Mais faire appel au FMI supposerait que M. Erdogan, qui s’enorgueillit d’avoir « réglé les dettes » de son pays, ravale sa fierté et que Washington, tout-puissant dans cette institution, donne son accord. Deux obstacles de taille.
Les autorités turques tentent pour le moment de stopper la débâcle de la livre sans toucher aux taux de la banque centrale.
Celle-ci a promis de fournir aux banques les liquidités nécessaires et Ankara a dressé de nouvelles barrières contre la spéculation sur la livre turque.
Pour l’instant, le gouvernement turc « n’a fait que le strict minimum », juge Capital Economics.
M. Erdogan « va vraisemblablement essayer de tenir avec des demi-mesures dans les semaines à venir », anticipe M. Schmieding, de Berenberg. « Il est peu probable que cela arrange les choses de manière décisive ».

Avec agences