Malgré l’opposition d’Erdogan, la Banque centrale turque relève fortement ses taux d’intérêt

Malgré les pressions du président Erdogan, hostile aux hausses, l’institut monétaire turc a relevé les taux d’intérêt pour enrayer la chute de la livre et freiner l’inflation qui atteint 18%. La devise a rebondi de 6%

La Banque centrale de Turquie a fortement relevé hier son principal taux d’intérêt pour endiguer la hausse rapide de l’inflation et stopper la chute de la livre turque, en dépit de l’opposition affichée du président Recep Tayyip Erdogan. La Banque centrale a annoncé dans un communiqué qu’elle relevait son principal taux directeur de 625 points de base, le portant à 24 %. Cette mesure a été accueillie positivement par les marchés : la livre turque a ainsi bondi jusqu’à 5 % face au dollar.

La banque centrale turque n’a pas déçu les marchés. Elle a agi fortement comme elle l’avait laissé entendre la semaine dernière. L’institut monétaire (CBRT) a décidé de relever son principal taux directeur pour enrayer la dégringolade de la livre, continue depuis plusieurs mois. N’en déplaise au président Recep Tayyip Erdogan, fermement opposé au durcissement monétaire, qui veut soutenir la croissance par tous les moyens. Quelques heures avant l’annonce de la banque, le chef de l’État a réaffirmé son hostilité: «mes réserves au sujet des taux d’intérêt demeurent», tout en précisant que la banque centrale est indépendante. Ses propos ont aussitôt fait reculer la livre.

La hausse significative – de 625 points de base – à 24% a permis d’inverser la tendance. La livre a rebondi de 6% dans la foulée face au dollar, s’échangeant à 6,15 contre un billet vert. L’enjeu est aussi de contenir l’inflation qui ne cesse d’augmenter: la hausse des prix a atteint 18% en août en glissement annuel contre 15,4% en juillet et 13% en juin. Pour rasséréner un peu plus les marchés, la CBRT a précisé dans son communiqué qu’elle «utiliserait tous les leviers disponibles pour assurer la stabilité des prix». Un signal envoyé à l’exécutif pour réaffirmer son indépendance.

«Coup d’épée dans l’eau»

Cela suffira-t-il à créer un choc de confiance? L’économie turque est dans l’œil du cyclone depuis des mois. À cela plusieurs facteurs: d’abord le moindre appétit des investisseurs pour les pays émergents, liés à la hausse des taux aux États-Unis qui les rend moins attractifs que le dollar. Ensuite, les difficultés propres à la Turquie. La défiance tient à la fois à la mainmise d’Erdogan sur l’économie et au déficit courant structurel qui s’est creusé. En cause, une hausse de la facture pétrolière et des importations, après deux ans de surchauffe poussée par la politique expansionniste menée par l’exécutif. La dégringolade de la livre – 40% depuis le début de l’année – s’est accélérée en août sur fond de crise diplomatique avec les États-Unis.

«La hausse des taux est assurément une bonne nouvelle, commente Sylvain Bellefontaine, expert émergents de BNP Paribas. Cela rassure partiellement sur un pied côté monétaire. Mais cela pourrait n’être qu’un coup d’épée dans l’eau si cette décision n’est pas suivie d’annonces fortes concernant le second pilier: la politique budgétaire». L’économiste estime que la décision prise dans la journée, via un décret présidentiel, d’interdire les transactions en devises entre contractants turcs – dont l’objectif est de rendre l’économie moins dépendante du dollar- n’est pas un bon signal. «Pour redonner confiance aux agents économiques dans leur monnaie locale, il vaut mieux passer par des mesures macroéconomiques vertueuses plutôt que de contraindre par la loi». Une mesure d’autoritarisme qui montre le sauve-qui-peut…

Dégradation des notes de quatre banques turques

Face à la chute de la monnaie turque et dans un contexte de campagne électorale pour la réélection de M. Erdogan, la Banque centrale avait décidé des hausses de ses taux en mai et juin, mais à des niveaux jugés insuffisants par les marchés. Son refus de réitérer cette mesure lors de la réunion de son comité de politique monétaire en juillet avait été très mal perçu et avait renforcé les inquiétudes quant à son indépendance.

Par ailleurs, le président turc a interdit hier les ventes et locations de biens mobiliers et immobiliers en devises étrangères, une mesure visant aussi à soutenir la livre. L’achat, la location et la vente de biens mobiliers et immobiliers devaient, dès hier, se faire uniquement en livres turques, d’après un décret présidentiel publié au Journal officiel. Ces transactions ne peuvent pas non plus être indexées sur des devises étrangères, précise le texte, qui évoque toutefois la possibilité d’exceptions décidées par le ministère des Finances.

La situation financière du pays reste en effet sous pression. Entre juillet et août, trois principales agences de notations américaine Moody’s, Fitch et Standard and Poor’s (S&P) ont baissé leurs notes de crédit respectives sur la Turquie, en estimant notamment que la volatilité de la livre turque et l’affaiblissement des institutions du pays allaient affecter sa stabilité financière et sa croissance. Mardi, Fitch a en outre dégradé les notes de quatre banques turques, quelques semaines après que Moody’s eut abaissé la note de crédit d’une vingtaine d’institutions financières de ce pays. Odea Bank, filiale de la banque libanaise Bank Audi, fait partie des établissements visés. En mars, Moody’s avait cependant indiqué que l’exposition de Bank Audi à l’évolution de la situation financière en Turquie était limitée et avait ainsi maintenu sa notation pour les dépôts à long terme (B3 avec perspective stable).