La dette publique tunisienne ouvre la porte à une nouvelle colonisation du pays

Chiffre du jour :

La dette publique totale tunisienne est de 83 Milliards dinars tunisiens (TND) et la dette externe, contractée auprès de non-résidents, est de 60,742 Mds TND fin mars 2019 soit 73%.

Cette dette externe a fortement progressé depuis 2014 (+145% sur la période – dette externe limitée à 24,781 Mds TND en 2014) en partie à cause de la longue période de dépréciation du dinar tunisien. Ainsi, l’effet-change est évalué à 21,8 Mds TND sur la période de 2014 à fin mars 2019, contre 14,1 Mds TND pour l’effet volume. In fine, la dette externe atteignait 56,2% du revenu national brut (RNB) fin mars 2019, contre seulement 30,7% du RNB en 2014. A titre comparatif, la dette intérieure n’a augmenté que de 37% de 2014 à fin mars 2019.

La nouvelle dette externe contractée sert de plus en plus à rembourser la dette existante : En 2018, le service de la dette extérieure représentait 64% de la nouvelle dette extérieure, contre 37% en 2015.

La dette en devises est majoritairement libellée en euro (48% fin mars 2019) et c’est de plus en plus le cas (43% en 2014). Il s’agit ensuite du dollar US (part relativement stable : 28% fin mars 2019, contre 27% en 2014) puis du yen (en baisse : 11% fin mars 2019, contre 17% en 2014).

La Tunisie est endettée :

1/ auprès des bailleurs multilatéraux (48% fin mars 2019 – une part stable par rapport à 2014 : 47% ; il s’agit fin mars 2019 de la BERD à hauteur de 17%, de la BAD pour 14%, du FMI à hauteur de 9,5% ou encore de la BEI pour 3%),

2/ via les marchés financiers (une part en hausse : de 29% en 2014 à 36% fin mars 2019),

3/ sur le plan bilatéral (une part en baisse : de 22% en 2014 à 16% fin mars 2019, en lien avec la réduction des apports de la France et du Japon).

Compte tenu de ces évolutions et du fait que les échéances des emprunts réalisés par les marchés financiers sont plus courtes en moyenne que celles des dettes bilatérales et multilatérales, les remboursements à court terme sont relativement élevés (7,014 Mds TND en 2019 ; 6,135 Mds TND en 2020 ; 7,629 Mds TND en 2021).

On nous a appris qu’un niveau trop élevé de dette extérieure est un facteur de risque-pays important : en cas de fluctuations de la devise nationale, et c’est le cas de la Tunisie depuis la décision fin 2016 de l’accélération de la dépréciation du dinar, les montants des intérêts et du principal de la dette extérieure, si elle est libellée en monnaie étrangère, peut rapidement par effet de levier inverse conduire à la crise économique voire au défaut de remboursement. Ce fut le cas lors de la crise d’Asie dans les années 1990 par exemple. Le niveau de la dette extérieure fait partie des risques financiers évalués parallèlement par les agences de notation financière, comme on a pu le constater lors de la crise grecque de 2010.

On y est.

Au delà de la nécessité d’attribuer la responsabilité des uns et des autres sur cet état de fait gravissime dans l’histoire de notre pays, rappelant malheureusement les déboires qu’a connu la Tunisie au milieu du 19e siècle et qui a abouti à la légitimation puis la colonisation du pays par le principal créancier, la question qui est posée aujourd’hui est : faut-il passer par une période d’austérité vraie, avec les sacrifices qu’on connaît, et les risques sociaux que cela engendre, ou alors renégocier la dette extérieure pour mieux respirer et espérer créer les conditions d’une relance plus saine de l’économie, avec le coût que cela implique (prolonger la durée l’endettement extérieur du pays…)… faut-il faire les deux options concomitamment ? À quelles conditions ?

Walakom sadid annadhar.

Hassen Zargouni