Insaf et Thouraya balayées par une tempête

MONDE CRUEL

Borj Hafaiyedh. (26/9/2018). Insaf et Thouraya âgées de vingt et vingt-quatre ans devaient se marier au début du mois de décembre prochain. Le même jour et ensemble dans une seule fête pour occasionner moins de frais au papa. Elles vécurent dans la même chambre toute une vie partageant rires et secrets.

Le destin en a voulu autrement. Elles moururent le même jour, au même lieu, à la même heure, au fond d’un ravin, traînées sur quatre kilomètres par un oued injuste et furieux.

39 kilomètres de routes (entre Hammamet, Baraket Essahel, Zaouiet Jedidi, puis retour sur Bir Bouregba et Borj Hafaiyedh etc), de fausses routes, de lacets et de chemins perdus pour arriver enfin ce matin à 9h00 au cimetière de Sidi Hamed au village de BousselHam entre Bouargoub et Bouficha dans des collines perdues.

Le père, Si Hassen Gmati, du haut de son mètre soixante me répète qu’il a refusé toute visite étrangère et surtout pas politique, et qu’il me reçoit à participer à la pose familiale des marbres de ses filles uniquement parce que je lui avais dit au téléphone que j’allais venir pour lui offrir un rameau d’olivier, un brin de laurier et un panache d’amour et d’affection pour la famille.

Dans ce cimetière perché sur une colline, une centaine de tombes blanches nues comme un ver semblent prier le ciel d’éloigner ses nuages tueurs et furieux en attendant que les routes soient enfin aménagées.

L’histoire est triste en effet

Insaf et Thouraya rentraient à la maison, quand éclata l’horrible tempête que l’on connait qui déversa en six heures de temps autant de pluie qu’en six mois, sur le gouvernorat de Nabeul.
Les jeunes sœurs de vingt et vingt-quatre ans se trouvèrent dans un chemin large de cinq mètres, transformé en torrent tropical et infranchissable.
Elles fuient le désastre en montant de quelques mètres pour longer une haie de figues de barbaries sur un kilomètre.

La gorge serrée, les yeux en pleurs, au seuil de sa maison, le père continu son récit :

Mes filles arrivèrent sur ce talus, à 200 mètres de notre maison, sur cette colline que vous voyez, elles n’étaient plus qu’à trois minutes de la maison et de la vie en décidant de dévaler la petite colline pour retrouver maman. Elles rencontrèrent la furie des eaux pour un dernier voyage. »
« Je leur avais téléphoné tous les quarts d’heure pour contrôler leur chemin. Puis silence radio. Deux heures plus tard, le fiancé de ma fille aînée me dit que Thouraya ne répond plus ni sur Facebook ni sur son téléphone et je lui annonce que je viens de découvrir grâce à mon voisin les corps de mes deux filles quelques kilomètres plus loin » 

Dans un modeste séjour tapissé de jaune et de rouge, tout propre et soigné, la mère digne et sobre me reçoit avec ses deux autres filles, une de 17 ans et une seconde de 9 ans. Tout est braqué sur ce dernier enfant prodige Kenz dont les yeux rappellent certains petits génies que j’ai croisés dans ma vie… Un regard doux, vif, intelligent et silencieux cachant avec peine un QI de 130 au moins.
Kenz me présente une dizaine de tableaux d’honneur qu’elle a reçus à l’école Elle est première dans toutes les matières et dans toute l’école primaire. Kenz veut devenir médecin pédiatre. Elle le deviendra !

Je quitte cette famille la gorge nouée, un torrent de larmes que je ne peux cacher et le cœur en miettes. Je me suis juré que notre Club KIWANIS adoptera Kenz, cet enfant, cet ange.

Rached Trimèche

Kenz