Certains oublient que la pisse de R’chouda les rendrait eunuques.

Marchant à pieds sur la route touristique de Sousse au niveau de l’hôtel Mouradi Palace, j’ai été saisi par le nombre incalculable de voitures et particulièrement des grosses cylindrées (Mercedes, BMW, AUDI…). J’ai cru que c’était un congrès des grands constructeurs européens qui venaient pour discuter avec nos éminents responsables de l’installation d’usines de montages de ces marques célèbres avec des degrés d’intégration progressifs. Je voyais déjà la Tunisie une plaque tournant africaine pour la commercialisation de ces voitures. Que d’emplois créés et que d’argent pour ce pays qui en a tant besoin.
Mon ami, toujours pessimiste me dit qu’il ne fallait pas rêver et qu’il faudrait mieux pour moi de m’enquérir de la véritable raison de toute cette exhibition de bolides. On m’a dit que c’était la journée de l’entreprise. Toujours avec mon tempérament optimiste, je me dis que cette journée va propulser la Tunisie sur la planète Mars. Avec les éminences présentes et leurs bolides, dans un mois, nous allons devancer sur l’autoroute du progrès tous ceux qui nous ont dépassés auparavant. L’ordre du jour serait la mise à niveau de nos entreprises, la rationalisation de la production, la culture entrepreneuriale, l’alignement de nos produits sur les normes internationales, la compétitivité pour nos produits, la conquête des marchés extérieurs pour équilibrer notre balance commerciale… Dans le cadre de l’ALECA, nous allons traiter avec la communauté européenne d’égal à égal et nous allons en sortir gagnant, peut être même, allons nous dominer l’Europe économiquement et Youssef l’enfant prodige en serait témoin (chahed).
Mon ami, hibou lugubre, a tenu à dégonfler la grande bulle que je me suis imaginée avec une mince aiguille. Pour lui il fallait que je déchante. Car cette réunion est organisée depuis plusieurs années et qu’elle est tout juste une réunion mondaine, sans trop. Une occasion pour les participants toujours occupés par leurs affaires de se rencontrer une fois par ans mais pour s’épier les uns les autres et de faire un état de ceux qui ont dégringolé sur les marches de la « révolution » sans compter toutes sortes de papotages. Les discours ne sont entendus par personnes et les rapports sur cette rencontre ne seront ni lus ni consultés par personne.
Bouhali que je suis, je ne l’ai pas cru. Je me suis dit que je vais voir par moi-même. J’ai dit à mon ami de m’attendre et j’ai couru à la maison qui était tout près du festival. Vite j’ai mis mon costume du festival de Cane, la chemise en satin et le papillon en sois et mes chaussures vernis noirs que j’ai essuyées avec un chiffon imbibé du lait que les parents ne trouvaient pas sur le marché pour leurs bébés.
Connaissant très bien les lieux, j’ai déniché un coin secret et mon ami m’a aidé à sauter la clôture zakafouna comme Ibn el kareh d’El Maârri. Mon costume aidant, me voilà dans la salle des fêtes avec la « crème » de la Tunisie. Comme beaucoup qui se goinfraient j’ai fait le pique assiette, les discours n’ayant pas encore commencé. Tout à coup un grand brouhaha ébranla les lieux. Il y avait une cohorte qui entrait et beaucoup se précipitèrent comme attiré par un tourbillon. J’ai fait comme eux pour ne pas me sentir ridicule. Et que vois-je, tonton R’chouda en personne avec sa grimace morbide qui se refusait au sourire, son ventre de polichinelle, et qui jubilait. Les autres étaient obnubilés et se disputaient ses joues, son front, son ventre, ses mains pour y imprimer sa bise. Celui qui n’est pas arrivé à ces lieux saints, s’est baissé pour lui baiser les chaussures, d’autres les malchanceux ont baisé le sol par où il a passé. C’était l’arrivée du Messie. Loin derrières ces exaltés il y avait des braves qui ont tenu de marquer leur distance. Je les ai rejoints ahurie par tant d’idolâtrie et ayant eu peur pour mon costume d’apparat qu’on me le déchire tellement la bousculade était grande, costume pour lequel j’ai été envié par les m’as-tu vu . J’étais surpris de sa présence, car je ne lui connaissais pas un grand savoir sauf de confus bavardages qu’il prétendait être de la religion que je ne comprenais pas. Ce n’était pas celle de mes parents qui étaient pourtant pieux.
Les discours ne m’ont pas intéressé car on y parlait trop d’argent, de banques… et j’aurais préféré l’argent en poche qu’en discours.
En fin, le déjeuner. J’étais parmi les premiers en salle et j’ai pris un tout petit peu de quelques articles du buffet pour ne pas me trouver ridicule devant ces gens biens. A ma grande surprise, et à part une minorité celle qui n’a pas salué tonton R’chouda, les gens s’attablaient devant des montagnes de salades, de viandes, de poulets, de poissons, de fruits, de gâteaux, de… de …de… Je me suis dit, que ces gens se rencontrent une fois par ans et que depuis l’année dernière, ils ne doivent pas avoir mangé à leur faim. En les regardant avec leur joue de zakkar, le gosier enflé d’une oie qu’on gavait, le ventre de Gargantua, la ceinture desserrée, j’ai eu pitié pour ces pauvres riches qui ne mangeaient qu’une seule fois par ans à leur faim.
Comme beaucoup, je suis sorti après le repas. Mon ami m’attendait au café du quartier. Lui qui comprenait toujours tout, je lui ai dit que je trouvais bizarre la venue d’un ignorant à cette rencontre savante. Après m’avoir reproché ma niaiserie, il m’a dit que tonton R’chouda est venu en campagne, pour dire à ces lèches culs : je suis toujours là contre vents et marais et que vous devez mettre de l’argent dans ma tire lire comme en 2011 pour votre salut. Mon ami m’a révélé à l’oreille qu’il va être président. Je lui ai dit pourquoi ? Il m’a répondu pour qu’il leur pisse dessus comme il l’a souvent déclaré. Alors, j’ai soupiré et j’ai avoué à mon ami, que c’était la première fois que je regrettais vraiment de n’avoir pas été riche, car pour coûter tant, cette pisse devrait être bénite et curative comme la pisse du chameau (bawl el baâyir) et j’aurais bien aimé pouvoir acheter un peu de pisse de Tonton R’chouda pour soigner mes rhumatismes. Alors avec son ton toujours sérieux, il m’a répondu de ne jamais y toucher car si bawl el baâyir était en plus aphrodisiaque, la pisse de R’chouda rendait eunuque. Par instinct, mes mains se trouvèrent à protéger mes bijoux de famille du mauvais sort. Et Ho ! Combien était salutaire pour mes attributs, cette réponse providentielle, car il vaut mieux rentrer intact chez soi que de se faire remplacer par tonton R’chouda et en plus de me voir renvoyer par la maîtresse de séant moi et mon remplaçant à coup de rouleau pâtissier. Mais, en même temps, cette réponse m’a rendu triste sur mon sort, car j’aurais bien aimé être intelligent, comme mon ami, pour comprendre pourquoi on payait de l’argent et beaucoup d’argent pour être eunuque. Cela doit être une spécialité de certains tunisiens riches ou cultivés, qui me dépasse, moi le simple citoyen pauvre et simple d’esprit.

Mounir Chebil