Sousse au crépuscule

Essoussi Kamel

Essoussi Kamel

Mais quelle mouche nous a piqués pour aller sonder l’ambiance de Sousse en plein mois d’Août à la tombée du jour avec un ciel si bas et si sombre qui vous écrase et vous met de suite dans un malaise diffus et imperceptible? L’ennui, la nostalgie, les souvenirs ! Va savoir.
Nous voilà à l’entrée de bab el Quebli face à cette rue désespérément vide qui s’enfonce dans les profondeurs de la médina. Seul un barbu à l’afghane la remonte vers la sortie sur son scooter dont le bruit du moteur pétardant se mêle à la cacophonie des centaines de minarets qui appellent confusément, anarchiquement et disgracieusement à la prière du moghreb .
Bifurcation à droite longeant les remparts jusqu’à la place Djabbent el ghorba où cet artisan menuisier, devant son atelier vide et sa solitude infernale, vous reconnait et vous accroche pour vous faire subir une leçon d’histoire de moureddine qui se compose – insiste t il – des maures et des dine, religion qu’il blasphème maintenant de tout son être en y ajoutant les soussiens et les essoussi , cause de ce bordel affirme t- il en abandonnant tout à ces intrus venus des villages aux alentours.
Heureux d’échapper à la colère de l’ex pote qui écume maintenant de bave dans son délire, je continue en plongeant sur le marché de bab djedid où quelques marchands exposent leurs cageots de poissons pourris aussi puants que les nombreuses poubelles débordant d’immondices à coté, attendant un hypothétique acheteur qui ne viendra jamais.
La façade de l’hôtel hadrumète incendié il y a deux ans se dresse maintenant hideuse de noirceur en face, Elle pleure sa terrasse étalée sous ses pieds, autrefois pleine des rires à gorge déployées de ses insouciants joyeux buveurs de bière, devenue aujourd’hui dépotoir pissoir pour ces promeneurs populaires d’un jour buveurs au pire d’un soda aux colorants douteux qui vous teintent les babines.
L’avenue habib bourguiba regorge à cette heure de monde et de voitures dans un cafouillage et une désorganisation intense, où une foule typiquement arabo –musulmane voilée dans sa quasi-totalité, traîne ses savates à flâner piétinant les sacs en plastique qui jonchent les trottoirs : sans la moindre blonde de suédoise, sans la moindre jeune allemande et encore moins sans once de couple de ces vieux anglais qui se tenaient auparavant par la main, souriants.
L’esplande de Boujaafar où barbotent des gens à droite dans une mer agitée vous plonge, dés que vous lorgnez à gauche, directement dans une rue dévastée de grozny, d’Alep ou de kaboul après le passage d’avions larguant des barils explosifs Justinia défenestré, nejma défoncé, hana beach bombardé, chams el hana explosé , tous les immeubles de l’esplanade se dressent inoccupés , éventrés, vidés, croulant sous les gravats qui s’amoncellent dans leurs jardins faits d’herbes sauvages et de chienlit à scruter un parterre d’ algériens et autochtones assis tout le long de sa barrière marbrée perdant ci et là quelques carreaux .
La voiture fonce maintenant vers la maison dans cette rue fantôme montante derrière taj marhaba, Samara tout aussi dévastés comme réservée, aménagée en issue de secours à ceux qui veulent arrêter leur promenade pour l’écourter ; à fuir un désastre., abréger leurs souffrances.
Je jetais un coup d’œil furtif du coté de ma compagne. Elle pleurait déjà en silence : Sousse, la médina, le centre ville, les gens, les bâtiments et…. ses parents

Essoussi Kamel