100 morts, 4 000 blessés en Irak : Répression d’Etat ou main de l’étranger ?

Selon un dernier bilan dressé ce 5 octobre par la Commission gouvernementale des droits de l’homme irakienne dans un communiqué, près de cent personnes, en grande majorité des manifestants, ont été tuées et plus de 4 000 blessées depuis le 1er octobre, début d’un mouvement de contestation en Irak. La plupart des manifestants tués l’ont été par balles, selon des sources médicales citées par l’AFP.

Au moins six policiers figurent également parmi les personnes tuées lors de ces manifestations antigouvernementales organisées à Bagdad et dans plusieurs régions du sud du pays à majorité chiite, selon des sources médicales et policières. En outre, quelque 500 personnes ont été arrêtées, une grande partie ayant ensuite été libérées.

Si le bilan est déjà très lourd, des questions se posent sur l’origine de ces tirs en direction des manifestants, comme en direction des forces de l’ordre.

Répression d’Etat ou main de l’étranger ?

La chaîne France 24, qui a une équipe sur place, parle de répression d’Etat, tandis que l’AFP fait état de tirs à balles réelles «très nourris» des forces de l’ordre. Le 3 octobre à Bagdad, «les blindés des forces spéciales repouss[aient] la foule, les forces de l’ordre tir[aient] sur le sol des balles qui ricoch[aient] sur les manifestants», selon le témoignage d’un photographe de l’AFP.

Le 4 octobre, au quatrième jour de ces manifestations qui touchent la capitale et une grande partie du sud du pays, des dizaines de personnes, certaines masquées, ont afflué dans le centre de Bagdad, où les forces de sécurité ont tiré à balles réelles à hauteur d’homme sur des protestataires, selon des journalistes de l’AFP.

Autre son de cloche du côté des autorités irakiennes, qui évoquent des tireurs non-identifiés se fondant au milieu des manifestants. Cité par le journal arabophone libanais Al-Akhbar, un porte-parole du ministère de la Défense, Tahsin al-Khafaji, évoque ainsi des «tireurs infiltrés dans la foule qui visent à la fois les manifestants et les forces de sécurité afin de créer une sédition».

Le journal arabophone cite en outre des «hauts responsables de la sécurité» sous couvert d’anonymat évoquant eux aussi la prolifération «de tireurs isolés inconnus» dans plusieurs quartiers de la capitale. Ces hauts responsables soulignent que les informations dont ils disposent font état de l’implication de l’ambassade des Etats-Unis et du consulat d’Arabie saoudite dans ces troubles. Ces sources auraient notamment assuré au média arabophone qu’«un certain nombre de détenus [arrêtés pendant les manifestations] avaient admis que l’ambassade des Etats-Unis et le consulat d’Arabie saoudite les avaient poussés à plusieurs reprises à semer la confusion dans la rue en prenant part aux manifestations pacifiques». Des informations qui ne sont pour l’heure pas confirmées officiellement par les autorités irakiennes.

Paris appelle à «faire la lumière» sur les violences et soutient le Premier ministre irakien

Dans une déclaration lourde de sens, la France a pour sa part réaffirmé ce 5 octobre son soutien au Premier ministre Adel Abdel-Mahdi pour ses efforts de «stabilisation» et de «reconstruction» du pays, appelant les autorités irakiennes à «faire la lumière» sur les événements.

«La France rappelle son attachement au droit de manifester pacifiquement ainsi que l’importance d’une réponse proportionnée des forces de sécurité ; elle encourage les autorités irakiennes à faire la lumière sur les circonstances des violences», a déclaré le porte-parole adjoint du ministère français des Affaires étrangères.

«Dans un pays longtemps meurtri par la guerre et le terrorisme, la France soutient les efforts du gouvernement irakien en matière de stabilisation, de reconstruction et de développement de services publics au bénéfice de l’ensemble de la population irakienne», a-t-il ajouté. «Elle salue la volonté du Premier ministre de répondre aux légitimes aspirations, à la dignité du peuple irakien, ainsi que sa détermination à asseoir l’autorité d’un Etat rassembleur et protecteur, dans le prolongement des efforts déjà accomplis», a-t-il poursuivi.

L’opposant Moqtada Sadr réclame la démission du gouvernement qui, lui, demande de la patience

Le 4 octobre, le très influent leader chiite irakien Moqtada Sadr a réclamé la démission du gouvernement d’Adel Abdel Mahdi, qui avait appelé les manifestants à la patience. «Pour éviter davantage d’effusion de sang irakien, le gouvernement doit démissionner et des élections anticipées doivent se tenir sous supervision de l’ONU», a dit ce poids lourd de la politique irakienne, dont la coalition compte quatre ministres au gouvernement.

Né d’appels sur les réseaux sociaux, le mouvement de contestation est le premier test pour le gouvernement d’Abdel Mahdi, en place depuis un an. Les manifestants, qui se disent non partisans, protestent contre la corruption, le chômage et la déliquescence des services publics.

Les autorités leur ont réclamé du temps pour mettre en place des réformes afin d’améliorer les conditions de vie des 40 millions d’habitants du pays ravagé par les guerres, le chômage et la corruption. Mais les protestataires semblent excédés : de nouvelles manifestations ont lieu ce 5 octobre à Bagdad.

Le Parlement irakien devait tenir à 13h locales une réunion après que son président, Mohammed al-Halboussi, a émis des propositions pour l’emploi des jeunes et de nouvelles aides sociales, et s’est même exclamé dans un élan : «Si rien n’est fait rapidement, je rejoindrais les manifestants».

L’Iran dans le collimateur

Au-delà des revendications sociales apparaît également un grief d’ordre géostratégique qui vise explicitement le voisin iranien. Le rejet de l’influence iranienne dans la politique irakienne semble en effet être un des leitmotiv des manifestants. Le quotidien libanais L’Orient-Le Jour rapporte à cet égard que les protestataires scandent : «L’Iran dehors !» dans les rues irakiennes, de Bagdad aux villes du sud.

Fanar Haddad, chercheur au Middle East Institute et à la National University de Singapour, interrogé par ce quotidien francophone, estime qu’«au cœur des protestations, il y a le mécontentement de la population vis-à-vis du système politique dans son ensemble». Or, selon lui, «l’un des garants principaux de ce système est l’Iran». «Les factions les plus puissantes au sein de la classe gouvernante sont liées à Téhéran ou soutenues par elle. Et c’est là que la colère contre le gouvernement converge avec la colère contre l’Iran», poursuit-il.

Le 5 octobre, dans la matinée, les magasins ont ouvert à Bagdad après la levée à l’aube du couvre-feu instauré le 3 octobre. Mais internet est toujours bloqué. Des journalistes de l’AFP rapportent que de nombreux manifestants marchaient dans l’après-midi vers la place Tahrir, centre emblématique de la capitale irakienne.

L’Irak, sorti il y a moins de deux ans de près de quatre décennies de conflits, connaît une pénurie chronique d’électricité et d’eau potable.